TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: CHRISTIAN BONZON
Juchés sur le toit du bâtiment, les trois hommes se préparent sans un mot. Dans leur dos, le jet d’eau de Genève scintille sous le soleil matinal. Se déplaçant avec aisance malgré le matériel qui pend à leurs baudriers, ils s’entraident pour mettre en position les glissières. Puis chacun prépare les cordes qui serviront à l’assurer, multipliant les nœuds compliqués pour les relier aux anneaux qui sont fichés dans le mur. Chaque corde est doublée pour davantage de sécurité. La concentration est maximale. «Il faut avoir les yeux ouverts dès le matin. Tu n’as pas la possibilité de te tromper, cela peut être très dangereux», explique Andrea Scarponni, responsable de l’équipe de cordistes de la société Acro Bat. Il faut dire que lui et ses deux collègues s’apprêtent à descendre en rappel le long de la façade d’un immeuble administratif genevois de sept étages. Objectif? Nettoyer les 700 vitres de la structure. Au total, il leur faudra plus de deux semaines pour accomplir leur tâche.
«On s’occupe de nos propres cordes, mais on jette aussi un œil sur ce que font les autres pour vérifier», souligne Jérémie Favre, en enjambant le rebord du toit pour se suspendre dans le vide. Avec souplesse, il attrape le seau qu’il a préalablement rempli d’eau et l’accroche à son baudrier. Lui et ses camarades sont parés, ils se laissent glisser le long de la paroi grâce à leur matériel. «L’adrénaline est présente à chaque descente», confiait, quelques minutes plus tôt, Andrea Scarponni. C’est d’ailleurs l’un des aspects qui a séduit son collègue Vincent Adamiak. «En hauteur, même les choses banales deviennent compliquées. Pour visser une simple planche, tu dois bien réfléchir.»
Sous l’œil des passants, le ballet aérien débute. Les cordistes commencent par utiliser un chiffon pour nettoyer les encadrements et retirer les toiles d’araignées. Ils mouillent ensuite les vitres avec leurs frottoirs avant de passer le racloir de haut en bas. «Le nettoyage de vitres peut paraître rébarbatif, mais quand vous êtes en falaise, vous vous dites que, finalement, les vitres, c’est sympa», assure Jean-Daniel Légeret, fondateur de l’entreprise Acro Bat en 1997. Passionné d’escalade, le Vaudois a débuté dans le domaine un peu par hasard. «L’Auditorium Stravinski cherchait du monde en urgence pour réaliser des travaux sur corde à la fin du Montreux Jazz. J’y suis allé au pied levé», raconte celui qui sortait d’un apprentissage de maçon.
«Ta sécurité ne dépend
que de toi»
«J’ai toujours aimé grimper. Comme je ne voulais pas rester dans un bureau, j’ai décidé de réunir ma passion et mon métier. Mais je pense que je travaillerai au maximum jusqu’à mes 45 ans. Sur un bâtiment comme celui-ci, c’est assez physique. Il faut être en bonne condition et avoir confiance dans tes capacités. Ta sécurité ne dépend que de toi et de tes collègues.»
Andrea Scarponni, 33 ans, responsable de l’équipe et cordiste depuis quatre ans
«La haine des échafaudages»
«À la base, je suis ferblantier. Mais,
à force, j’avais la haine des échafaudages, ils ne sont jamais aux normes, tu te cognes toujours quelque part. Quand j’ai découvert l’escalade, j’ai décidé de joindre les deux domaines. C’est un métier original qui n’est pas donné à tout le monde. Mes parents se sont un peu inquiétés au début, mais, si on fait les choses dans les règles de l’art, il n’y
a pas de soucis.»
Jérémie Favre, 27 ans, cordiste depuis trois ans
«Les premières années,
c’est difficile physiquement»
«J’ai travaillé huit ans dans le monde de la restauration avant de devenir cordiste. J’ai pas mal d’amis qui se sont intéressés à ce métier et j’ai suivi. On a beaucoup moins de pression qu’en cuisine et c’est agréable de travailler dehors. C’est aussi plaisant de se déplacer comme ça, en hauteur. Les premières années c’est difficile physiquement, mais ensuite le corps s’habitue. Au début, mon entourage était un peu surpris, ils avaient l’impression que cela pouvait être dangereux.»
Vincent Adamiak, 28 ans, cordiste depuis cinq ans.