TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: JEAN-GUY PYTHON

Depuis deux ans, Mia Ramer et Sully Piteira se produisent dans les rues des villes romandes. Ce matin-là, c’est à Fribourg qu’ils ont déposé leur harpe, leurs deux guitares et leur ukulélé.
Si le jeune homme, titulaire d’un master en psychologie, travaille à temps partiel comme bibliothécaire, son amie, elle, vit uniquement grâce à ces petits concerts improvisés.
En moyenne, la trentenaire empoche 150 francs par jour. Les Romands se montrent parfois très généreux, déposant des billets de 20, de 50 ou même de 100 francs dans son chapeau.

Le rituel est bien rodé. Tandis que Sully Piteira retire sa guitare de la housse, Mia Ramer déplie deux tabourets portatifs et recouvre l’un de leurs sacs à dos d’un foulard violet. «C’est mieux si l’endroit où les gens mettent l’argent est un peu plus à leur hauteur. C’est un ami qui joue dans la rue depuis dix ans qui m’a donné le truc», explique-t-elle tout en déposant deux premières pièces de monnaie pour encourager les donateurs. Les voilà parés. La jeune femme attrape sa harpe et le concert improvisé peut commencer. En cette fin de matinée, les passants défilent sur les pavés du centre-ville de Fribourg. Certains les remarquent à peine, d’autres leur jettent un regard intrigué. En plus de jouer de leurs instruments respectifs, les deux trentenaires chantent, en anglais, des compositions tirées du premier album de Mia, «Places and People», mais aussi des reprises. Au bout de quelques minutes à peine, leurs efforts sont récompensés, deux dames déposent une pièce avant de s’engouffrer dans le centre commercial derrière eux.
«On vient à Fribourg parce que les gens sont plus sympas et que l’autorisation est gratuite», détaille le duo en connaisseurs. En effet, chaque ville romande possède ses propres tarifs ‒ entre zéro et une dizaine de francs par jour ‒ et ses propres règles. Ici, par exemple, les musiciens n’ont pas le droit de jouer plus de trente minutes d’affilée au même endroit. D’ailleurs, quand leur prestation se termine, pas un applaudissement ne vient la saluer. Habitués à se produire sur le pavé depuis deux ans, Mia et Sully ne s’en formalisent pas. «Jouer dans la rue, cela pousse à rester humble. Et c’est un super remède contre la timidité, il faut être capable de mettre son ego de côté», racontent-ils. Faire équipe permet aussi de se soutenir.
«Cela rend les galères, comme le fait de devoir porter le matériel ou les réactions de certaines personnes, plus faciles à vivre», soulignent-ils. Mais, le plus souvent, c’est seule que Mia vient jouer. En moyenne, trois ou quatre jours par semaine. «Avec un niveau de vie minimum, j’arrive à tourner», assure celle qui, après son gymnase, a fait une formation de danse. De son côté, Sully, titulaire d’un master en psychologie, vient moins régulièrement car il travaille à 50% comme bibliothécaire. «Durant mes études, j’étais frustré parce que je n’avais pas assez de temps pour jouer. J’avais du mal à trouver un sens à ce que je faisais», pointe celui qui fait également partie du groupe de musique brésilienne Parada Tropical.

«Là-bas, je me suis fait engueuler»

Remballant leurs guitares, leur ukulélé et leur harpe, les deux musiciens se mettent en quête d’un nouvel emplacement. Leur premier concert du jour leur a rapporté une grosse trentaine de francs, déposés par sept spectateurs différents (lire encadrés). «En règle générale, je gagne entre 100 et 150 francs par jour. Je dis toujours merci, mais je ne tiens pas vraiment de statistiques des gens qui donnent», observe Mia en tirant derrière elle le chariot chargé de son matériel. Elle se souvient, en revanche, parfaitement de certains donateurs particulièrement généreux. «Des fois, les gens déposent même des billets: de 10, de 20 ou, plus rarement, de 50 francs.» À deux occasions, elle a même eu droit à une coupure de 100 francs. «La première, c’était un mec totalement déchiré. La deuxième, le type me l’a donnée pour que je parte. Maintenant j’en rigole, mais sur le moment j’ai pleuré et je ne suis plus revenue pendant dix jours.»
C’est rue de Lausanne que le duo décide finalement de s’installer. Et, apparemment, le choix d’un bon emplacement se joue à quelques mètres près. «Ici, ce n’est pas terrible, il n’y a que des étudiants qui passent. Et, là-bas, je me suis fait engueuler par un gars à sa fenêtre la dernière fois», conseille la jeune femme à son ami. Finalement, ils trouvent l’endroit idéal, devant l’évêché du diocèse de Lausanne, Genève, Fribourg et Neuchâtel. À peine ont-ils esquissé quelques notes que plusieurs personnes débouchent sur le balcon qui les surplombe. Parmi eux, Mgr Morerod. Après un bref instant, l’évêque disparaît à l’intérieur du bâtiment. «C’est vrai que, dans la rue, les gens sont moins attentifs. Mais nous avons aussi moins de pression, c’est comme une répétition publique», observe Sully. Avec Mia, ils se produisent, de temps en temps, dans des bars. «Cela demande davantage d’organisation et ce n’est pas forcément plus avantageux financièrement que la rue», pointe la jeune femme. Elle assure que, même si elle devait faire davantage de concerts dans des salles, elle aurait toujours envie de retourner dans la rue. «C’est grâce à ça que j’ai pu progresser et enregistrer mon premier album. L’hiver, cela peut être rude, mais ce n’est pas ça qui va m’empêcher de jouer.»