TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: MURIEL ANTILLE

Passer son examen de conduite, est-ce une étape aussi terrifiante que ça? Pour en avoir le cœur net, nous avons suivi Carmelo Scilipoti, expert de la circulation à l’État de Vaud.
Il se confie sur les difficultés qu’implique son rôle et sur la manière dont il essaie de rassurer chaque nouveau conducteur qui essaie d’obtenir son permis.
Que cela soit la première tentative ou une supplémentaire, les élèves au volant se comportent tous différemment, avec, toujours, un stress palpable.

«Si on est là, c’est qu’il y a eu quelques petites lacunes à corriger», explique Carmelo Scilipoti, en prenant une voix douce et rassurante. Installé sur le siège passager, à l’avant de la voiture, l’expert de la circulation donne ses premières consignes à la femme de 21 ans assise à ses côtés. Cramponnée les deux mains sur le volant, elle écoute attentivement, en silence. «Vous avez de très belles conditions, ni trop de soleil, ni de la pluie, on va aller se promener en direction de La Sarraz (VD)», lui indique l’expert, tentant de la mettre en confiance. Elle tourne la clé pour allumer le moteur.
Ce matin-là, l’exercice est une routine pour lui, mais elle ne l’est de loin pas pour la conductrice. Léa* est ici pour sa troisième tentative. Elle a échoué aux deux précédentes et espère enfin obtenir le permis de conduire. Elle essaie de le passer depuis plusieurs mois. Dans l’habitacle, la tension est palpable, mais la conduite est fluide. L’expert confirme rapidement les progrès: «Vous avez très bien effectué cette présélection, on voit que vous vous êtes entraînée!» Le compliment détend un peu l’atmosphère, mais la concentration est maximale.

«Beaucoup de choses se disent à l’extérieur»

Même s’il est là pour évaluer la prestation de la Vaudoise, Carmelo Scilipoti explique qu’il faut savoir trouver le bon équilibre pendant les quarante-cinq minutes d’examen. «Je dois être strict par rapport à certains comportements qu’on ne peut, légalement, pas laisser passer, mais je ne dois pas oublier que nous sommes des êtres humains, réagit-il. Tout au long de la conduite, je vais essayer d’instaurer une atmosphère de confiance, pour que l’élève comprenne que mon rôle est d’être juste.»
Il confie, tout de même, que sa position n’est pas toujours la plus confortable, même après dix-huit ans dans le métier: «Nous, on nous voit comme les méchants et les moniteurs comme les gentils. Il faut accepter ce statut et au début c’est très dur! Cela nous demande beaucoup psychologiquement. Si cela se passe mal, je leur dis toujours: «On est deux dans ce véhicule, vous avez vécu la même situation que moi, je n’ai pas inventé de fautes.»

Selon lui, cette image négative se serait instaurée, il y a bien des années: «Beaucoup de choses se disent à l’extérieur, comme l’idée reçue affirmant qu’à certaines périodes telles que l’été “on fait rater les gens”. Aujourd’hui, nous essayons de faire comprendre que notre rôle est simplement d’être cohérent avec la sécurité routière.»

L’expert ne sait rien de l’élève

L’expert précise que passer son permis ne demande pas la perfection. Trois facteurs sont pris en compte lorsqu’une erreur est commise pendant l’examen: «Était-ce une faute légère, comme un oubli de clignotant? Une faute moyenne, telle une vitesse d’approche mal maîtrisée? Ou alors, avons-nous dû intervenir? La conduite ne sera jamais la même, chaque situation est différente et c’est à nous de savoir l’apprécier.»

«La conduite ne sera jamais la même, chaque situation est différente, et c’est à nous de savoir l’apprécier»

Carmelo Scilipoti, expert de la circulation

Pour Léa*, ce troisième essai était le bon: l’examen est finalement réussi. «Il y a eu une petite confusion de direction dans un giratoire et elle pourrait s’engager avec plus d’assurance dans ceux-ci, mais sinon c’était une belle prestation», conclut celui qui fait passer, en moyenne, huit examens par jour. D’ailleurs, le timbre et la signature à peine apposés sur le permis d’élève de la jeune femme, Carmelo Scilipoti doit repartir pour l’examen suivant. L’expert précise que, à part le nombre de tentatives, il ne sait rien de la personne qui va se présenter devant lui: «Ainsi, on part dans un état d’esprit totalement neutre, on n’a aucune idée du nombre d’heures de conduite de l’élève.»

Quelques erreurs acceptables

Son deuxième rendez-vous du matin est une première tentative. Nicolas Dias, 18 ans, semble sûr de lui. À peine monté dans le véhicule, il entame la conversation avec l’expert. L’atmosphère semble détendue lorsque, dès les premières minutes d’examen, une situation délicate se présente: deux coureurs s’engagent, à toute vitesse, sur un passage pour piétons, impliquant un freinage sec de la part de Nicolas. L’expert reste impassible, il ne dira rien sur le moment à part un «un peu tardif, le freinage». Après plusieurs priorités de droite correctement maîtrisées, l’examinateur lui fait une remarque sur sa vitesse: «À combien est la limite dans cette zone? Vous pouvez accélérer.» Il ajoute au giratoire suivant: «Montrez-moi que vous êtes sûr de vous dans vos relances en sortant des giratoires.» Des commentaires donnés de manière plus directive que les premiers échanges, qui ne démontent pourtant pas Nicolas: il garde tout son sang-froid et sa concentration. Un parcage, des questions techniques sur le chauffage du véhicule, puis direction l’autoroute. Tout se passe ensuite très bien pour Nicolas, qui réussit son examen.
Carmelo Scilipoti expliquera, au retour, que «le jeune homme s’est comporté de la bonne façon sur ce fameux passage pour piétons, même si la manœuvre était un peu brutale pour les passagers. Il a eu le temps de laisser passer les courreurs sans les mettre en danger.» Il lui explique que la prestation était suffisante, mais qu’il «manquait un peu de dynamisme dans la conduite». Pour Nicolas, c’est un soulagement: «On n’aurait pas dit, mais j’étais quand même stressé. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me parle comme ça, en essayant de me mettre à l’aise à certains moments.» Avant de repartir avec son moniteur, Nicolas assène: «De toute manière, il n’y a que les gens qui ont loupé qui disent que les experts sont tous mauvais. Quand ça va bien, on en parle pas vraiment.