TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: MICHEL PERRET

Constructeur de bateaux à Rolle, depuis 36 ans, Jean-Philippe Mayerat a toujours refusé de travailler avec du plastique. Par amour du bois, mais aussi du patrimoine.
À trois ans de la retraite, le Vaudois transmet désormais sa passion pour son travail à Camille, sa onzième et, sans doute, dernière apprentie.
Quand lui-même était en formation, sa profession semblait déjà vouée à disparaître. Pourtant, il reste persuadé qu’une petite frange de passionnés continueront toujours à vouloir entretenir leurs bateaux en bois.

Au centre-ville de Rolle, au détour d’une petite rue résidentielle, se niche un drôle d’atelier. À l’intérieur, des bateaux derrière chaque porte et le son entêtant d’une scie à ruban. C’est ici, dans l’ancienne usine de la marque de sports d’hiver Nidecker, que Jean-Philippe Mayerat a installé son chantier naval. Il ne devait y rester que quatre ou cinq ans, il y est depuis trente-six ans. Aujourd’hui, âgé de 63 ans, le maître des lieux rembobine: «Je me suis mis à mon compte parce que j’avais envie de pouvoir faire les choses qui me plaisaient.» À savoir construire des bateaux en bois. Et uniquement en bois. «Le plastique, c’est ingrat comme tout. Ça pue, ça pique. Moi, ça ne m’intéresse pas du tout», assure-t-il. Celui qui a découvert les joies de la navigation à l’adolescence raconte avoir toujours eu un attrait pour le bois. «C’est un matériau naturel qui a un côté sensuel. Il faut être capable de tenir compte de ses qualités et de ses défauts.» Car celui que tout le monde surnomme «Mayu» a bien conscience des désavantages qu’il s’impose. «C’est un boulot d’une autre époque, tout prend plus de temps. Dans un bateau, rien n’est droit, tout est courbe, il y a un côté artisanal.»
Alors que la retraite approche ‒ il a décidé de s’arrêter dans trois ans ‒, Jean-Philippe Mayerat se dit «assez content» d’avoir réussi à tenir le cap qu’il s’était fixé durant toutes ces années. Pourtant, ce n’était pas gagné. «En 1973, quand j’ai commencé mon apprentissage, mon patron me disait déjà que c’était la fin des haricots. Le polyester était en train de démocratiser la navigation», se souvient-il en nous entraînant à travers son atelier. Dans un petit hangar baigné de lumière, Camille Fumat (lire encadré), sa onzième et, sans doute, dernière apprentie, ponce la coque d’un bateau avant de la repeindre. Au-dessus d’elle, plusieurs canoës sont suspendus au plafond. Une petite partie de la dizaine d’embarcations qui composent la collection de «Mayu». «Il faudra bien que je m’en sépare un jour», soupire-t-il d’un ton qui indique qu’il n’est pas prêt à le faire.

Des sacrifices financiers

Lui qui a toujours aimé transmettre son savoir-faire préfère se montrer optimiste envers ceux qu’il forme. «Je leur dis qu’on n’est pas cuits, mais qu’il faut qu’on se cramponne. Notre métier n’est pas mort», sourit-il. Pour autant, le Vaudois n’est pas naïf sur la situation. «Il n’y a pratiquement plus de demandes de construction pour des bateaux en bois. Au total, j’en ai fabriqué une trentaine depuis que je suis à mon compte.» Et, pour s’offrir ce plaisir, Jean-Philippe Mayerat a dû consentir à des sacrifices financiers. «Si j’avais eu des enfants, peut-être que j’aurais fait des choses plus lucratives», reconnaît-il.

«Quand j’ai découvert ce boulot, je me suis dit: « Non, c’est impossible que cela existe réellement.»

Camille Fumat, 24 ans, apprentie

À l’heure actuelle, ce qui fait tourner le chantier naval, ce sont l’entretien et la réparation des embarcations en bois existantes. «Notre fonds de commerce, ce sont tous les bateaux qui ont été construits pour le lac par nos prédécesseurs. Il y aura toujours cette frange de la population attachée à ce patrimoine historique et affectif», assure-t-il. Un patrimoine que le constructeur tient à défendre. «C’est intéressant de savoir d’où l’on vient, de connaître l’histoire des différentes techniques de construction. On vit dans un monde où on ne sait plus comment les choses sont fabriquées.»
C’est d’ailleurs dans cet esprit que le Vaudois planche sur un nouveau projet: bâtir une embarcation reproduisant à l’identique une épave de la fin du 19e siècle qu’on lui a offerte. «La personne qui me l’a donnée l’a achetée, en 1949, à Saint-Sulpice (VD). Il l’a eue toute sa vie.» Séduit par sa forme, «Mayu» s’imagine déjà doter la future embarcation – qui mesurera huit mètres cinquante de long – d’un moteur à vapeur. Mais, avant cela, le chemin est encore long. Jean-Philippe Mayerat compte fonder une association pour réunir toutes les personnes intéressées et récolter les 200 000 francs nécessaires à la réalisation du projet. Il faudra aussi se montrer patient. «Nous avons fait abattre des mélèzes, au mois de décembre dernier, à la bonne lune. Le bois devrait être sec, à l’hiver 2020, pour que l’on puisse commencer la construction. Camille sera en dernière année d’apprentissage, ce sera une super expérience pour elle.»