TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: MURIEL ANTILLE

À 25 ans, Megane Bernard a une passion que peu de gens connaissent, ou que d’autres trouvent étrange: elle crée chez elle, à Pully, des poupées reborn. Ce sont de faux bébés qui ressemblent pourtant énormément à des vrais.
Dans son atelier équipé en pinceaux et couleurs en tous genres, elle passe des dizaines d’heures à peindre puis à assembler chacune de ses créations. Et le résultat est bluffant.
Il lui arrive aussi de se promener dans la rue avec une de ses poupées dans une poussette, dans le but de faire découvrir cet univers particulier aux passants, sans tabou.

Chez elle, Megane Bernard possède tout ce dont pourraient avoir besoin de jeunes parents: une poussette dans le salon, des vêtements colorés pour nouveau-nés dans la chambre et un choix de différentes lolettes accrochées au mur. «Celle-ci, c’est Evelyn, je l’ai adoptée et voici son certificat de naissance», explique la jeune femme de 25 ans, un poupon dans les bras. Les yeux fermés, la bouche à peine ouverte et des cheveux sur la tête: la petite, qui est bordée, semble endormie. L’illusion est presque parfaite: tout y est pour nous faire croire à un véritable enfant. Et pourtant ce n’en est pas un. Megane enlace ce qu’on appelle une poupée reborn. À savoir une création montée de toutes pièces, dont les traits ressemblent jusque dans les détails les plus minutieux à un bébé de quelques semaines.
Peinte puis assemblée, cette poupée est bien plus qu’un jouet: c’est une œuvre d’art, comme en témoigne celle qui en crée au quotidien depuis deux ans. «Beaucoup de personnes ne le voient pas de cette façon-là, car elles ignorent le côté artistique qui se cache derrière. Mais, pour composer une de ces poupées, il faut des dizaines de couches de peinture et surtout beaucoup de temps entre chacune d’elles pour les faire sécher avant de recommencer.» Au total, elle estime à une centaine d’heures de travail chacune de ses créations.

«Les gens cherchent souvent mon problème»

Au départ, l’artiste part d’un kit en vinyle, sans couleur, composé d’une tête, de bras, de jambes, qu’elle commande sur Internet. Elle les crée ensuite chez elle, à Pully (VD), sur son bureau installé dans sa chambre. «J’avoue que c’est un peu étrange, on a des bouts de bébé à la maison, et on doit les cuire au four, cela peut surprendre», rigole-t-elle.
Une fois les pièces brutes reçues, elle fait appel à son imagination pour arriver au résultat final. «Je vais jusqu’à faire les veines, les rougeurs ou imperfections que les enfants ont, pour les rendre les plus réalistes possible, en m’inspirant de vrais bébés, continue-t-elle. Au fond, je pense que c’est ce côté très vrai qui peut déranger ceux qui n’ont pas l’habitude de voir ces poupées.»

Elle-même a trouvé cet univers intrigant lorsqu’elle l’a découvert la toute première fois. «Je suis tombée là-dessus totalement par hasard pendant que je préparais un exposé, raconte-t-elle. J’ai vu une photo sur Internet d’un bébé qui me semblait vraiment étrange… c’est parce que, justement, c’était un reborn. J’ai voulu essayer!» Aujourd’hui, elle y trouve une nouvelle forme d’art qui lui offre un terrain d’expression. «Les gens cherchent souvent mon problème, ils me demandent si j’ai perdu un bébé, si je le fais parce que je ne peux pas avoir d’enfants, continue-t-elle. Absolument pas! Je ne comble aucun manque avec ça, mais, quand je crée, je me mets dans cette bulle qui me fait du bien.»

«Je ne les vois pas comme de vrais enfants»

Celle qui vient de terminer son apprentissage de laborantine en est actuellement à sa quinzième poupée. Elle en fabrique à côté de son travail, pour elle mais aussi pour des clients. «Des jeunes filles m’en achètent comme des poupées, ou des adultes pour des collections.» Il lui arrive aussi d’en échanger, comme celle qu’elle a chez elle en ce moment, Evelyn, qui a été créée par quelqu’un d’autre. La Vaudoise l’a adoptée. «C’est le plus souvent le fait de leur donner un nom et de parler d’adoption qui peut choquer les gens, mais personnellement je ne les vois pas comme de vrais enfants», poursuit-elle. Elle confie également que rien de tout cela n’est lié à une envie de maternité: «Je joue à la poupée et pas à la maman, j’ai simplement toujours gardé cette âme d’enfant!»
Même si son entourage est parfois étonné de la voir arriver aux fêtes de famille un bébé dans les bras, elle-même assure avoir gagné en assurance depuis qu’elle en crée. «Je pense qu’il faut que cela reste quelque chose de sain, d’encadré. Personnellement j’ai le sentiment que cela m’a permis d’être moi-même et de m’assumer à travers cette passion un peu bizarre.»