TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: MURIEL ANTILLE

Sur la route menant à Froideville, un point d’eau attire des dizaines de personnes par jour. Jerricans de plusieurs litres ou bouteilles en main, elles viennent se servir de son eau qu’elles trouvent spéciale. Puisée à la source, elle aurait des vertus particulières, selon ses onsommateurs. Son goût aussi est décrit comme différent de l’eau du robinet ou de celle achetée en grande surface. Ceux qui l’apprécient viennent, en moyenne, une fois par semaine, parfois même de loin: il y a des Lausannois, mais aussi des habitants de Payerne (FR), de Genève ou de Berne.

«Cette eau a quelque chose de très spécial, on sent qu’elle est bonne, qu’elle vient de la terre, mais je ne saurais pas vous dire pourquoi.» Ronald Légeret plonge ses deux mains dans la fontaine et se rince le visage avec vivacité. Il répète ce mouvement à trois reprises, «été comme hiver, je le fais à chaque fois que je viens ici, c’est du bonheur». Le Lausannois est un habitué de cette fontaine de Froideville: il l’a découverte grâce aux conseils d’un promeneur, il y a dix ans, et depuis il vient s’y approvisionner toutes les deux semaines. Cet après-midi-là, il se dit chanceux: «Ce monsieur n’a que quelques bouteilles à remplir, d’habitude je dois attendre, et très souvent c’est même jusqu’à une heure de temps!»

Car cette fontaine, située en bordure de route, au beau milieu de la forêt qui mène au village vaudois, attire mystérieusement des dizaines de personnes par jour. Toutes viennent pour une même raison: faire des réserves d’eau pour la semaine à venir. Sans en connaître l’origine exacte, elles clament qu’il s’agit d’une eau de source, bien plus fraîche que toutes celles que l’on pourrait trouver ailleurs.

«Beaucoup font demi-tour et reviennent plus tard»

En quelques minutes seulement, quatre voitures se sont déjà arrêtées. Un père et son fils sortent trois grosses caisses de bouteilles en plastique vides du coffre. «On est neuf personnes à la boire à la maison, il nous faut donc venir une bonne trentaine de minutes chaque week-end pour faire les réserves», assure Jahir Thaqui. Pour eux, c’est un travail d’équipe affûté: son père lui passe les bouteilles les unes après les autres, qu’il place minutieusement au goulot. Au total, ils en ont 50 d’un litre et demi. «D’ici à ce soir, cinq auront déjà été consommées, continue Jahir. Je peux vous dire que je sens la différence, les autres eaux m’irritent la gorge, ce n’est pas le cas de celle-ci.» Alors qu’ils sont en train de remplir leur cargaison sous le regard patient d’une famille venue avec des jerricans de 19 litres, un véhicule fait mine de s’arrêter, puis repart. «C’est normal, parfois c’est vraiment affreux toute l’attente!» s’exclame Musli, le papa. Et le fils d’enchaîner: «On sait que beaucoup font demi-tour et reviennent plus tard.» Mais personne ne semble agacé par le temps qu’il faut pour se servir. Chacun attend sous le soleil, sans broncher, que les contenants soient remplis. «On discute, on passe du bon temps avec les gens, ce n’est un problème pour personne», assure Jahir en terminant de charger sa voiture.

Une eau aux vertus médicinales?

Juste avant de reprendre la route pour Lausanne, où les nombreuses bouteilles seront stockées sur leur balcon à l’ombre, le duo profite d’une dernière gorgée. «Si vous êtes en train de manger et que vous vous sentez rassasié, prenez une goutte de cette eau, je vous jure que vous aurez de nouveau faim», assure Musli en se désaltérant. La Lausannoise Farida Vllasalija est aussi convaincue qu’elle a quelque chose de particulier. «Elle n’est pas calcaire et, quand on la boit, on a le sentiment d’avoir bu! Je peux vous dire que l’année passée, lorsqu’il y a eu une grande période de sécheresse et que la fontaine ne coulait presque plus, j’ai dû acheter, vraiment à contrecœur, d’autres bouteilles en grande surface.» Certains viendraient même s’en procurer pour leur aquarium ou l’arrosage des jardins. «J’ai entendu dire que ces gens-là ont les plus belles fleurs…» confie Ronald Légeret. Sans compter les vertus médicinales que ses adeptes lui attribuent: on se sentirait moins malade, plus en forme et extrêmement bien une fois la potion ingérée. «C’est sa qualité qui nous séduit, elle doit être remplie d’oligo-éléments, son équilibre est parfait, affirme le Lausannois. Elle a peut-être même des propriétés soignantes, car je me sens mieux une fois que je l’ai bue.» Tous précisent, toutefois, qu’il faut être attentif à la péremption de l’eau récupérée: elle ne devrait pas être consommée au-delà d’une semaine, car elle risque de jaunir et d’avoir l’effet inverse sur celui qui la dégusterait.