TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: MURIEL ANTILLE

Tous les jours, l’unité de crise Malatavie, à Genève, répond à sa Ligne Ados, une permanence téléphonique, pour venir en aide à des jeunes ayant des idées suicidaires.
Trois psychologues gèrent les appels et messages par e-mail des adolescents âgés de 12 à 25 ans, mais aussi de leurs proches inquiets.
Quand la détresse est trop importante, des entretiens individuels ou en compagnie des parents sont proposés dans cette maison genevoise qui se trouve à deux pas des hôpitaux universitaires de Genève.

Dans la petite pièce en attique, au deuxième étage de la maison, trois femmes tapotent sur leur clavier d’ordinateur. «Là, on fait le point sur les appels de la nuit grâce à un résumé que les infirmiers présents le soir nous ont envoyé par e-mail. Cela nous permet de prendre le relai.» Ce relai, c’est celui de la Ligne Ados de Malatavie: une unité de crise, créée en 1996 à Genève, pour venir en aide aux jeunes en détresse. Elle est le fruit d’un partenariat entre les Hôpitaux Universitaires de Genève et la Fondation Children Action. Ici, Adriana Radulescu, Yasmine Cebe et Eléonore Anzalone assurent, quotidiennement, une permanence téléphonique. De 8 h à 18 ‍h, les deux psychothérapeutes et la psychologue en formation répondent à tout adolescent âgé de 12 à 25 ans ayant des idées noires ou à son entourage. «Mon ami poste des images inquiétantes sur les réseaux sociaux», «Je n’arrive pas à arrêter de me scarifier», «Je suis inquiète pour cette adolescente». Elles reçoivent aussi des messages électroniques directement de la part d’ados préoccupés.
«Je vois qu’un jeune qui ne va pas très bien a appelé, tard cette nuit, à cause d’une dispute à son domicile, raconte Eléonore en vérifiant sa boîte de réception. Les infirmiers m’ont expliqué la situation par écrit pour que je puisse être au courant.» Cette séparation nocturne, elles ont dû apprendre à la gérer. «On ne peut pas être zen tout le temps, il y a des situations qui restent en tête et qui peuvent nous inquiéter, précise Adriana. Au début, je regardais les e-mails le soir ou même pendant mes vacances. Mais, avec l’expérience, on apprend à faire la part des choses pour se détacher à certains moments», poursuit Adriana. Le trio rassure, les adolescents suivis, jusqu’à aujourd’hui, par leur service ont réussi à remonter la pente.

«Cette maman était très inquiète»

Sur l’étagère, à quelques centimètres d’Adriana, un smartphone est bien en évidence. Si le numéro de la ligne est composé, c’est elle qui y répondra. «On fait un tournus pour que les jeunes ou les familles puissent nous atteindre continuellement.» Son explication à peine terminée, le mobile retentit. C’est un SMS. «On peut recevoir aussi des messages. Dans ce cas précis, il est adressé à l’une d’entre nous», continue la spécialiste. Les trois femmes n’en diront pas plus sur son contenu afin de préserver l’anonymat du jeune qui l’a envoyé.
Le premier appel arrivera peu avant 11 h. Adriana, qui vient tout juste de sortir de sa séance hebdomadaire avec les responsables de l’unité, n’a pas le temps de remonter dans son bureau. Elle décroche en s’isolant dans un coin du couloir. Un bonjour cordial de sa part, qui s’ensuit d’un long moment d’écoute. Elle acquiesce et enchaîne: «Je comprends, vous avez fait un sacré chemin pour en arriver là.» Une dizaine de minutes plus tard, elle termine l’appel, «cette maman était très inquiète pour son ado».

Cette situation, elle la vit quasi quotidiennement. «On a parfois des parents qui se sentent démunis et qui viennent chercher des conseils, alors on essaie d’apaiser la situation en proposant un entretien avec le jeune.» Dans ce cas précis, la personne qui téléphonait a refusé en disant que l’ado ne voudrait pas s’y rendre.

 

«La nuit, le numéro est composé dans un moment d’angoisse»

En moyenne, 80% des appels arrivent la journée, contre 20% la nuit. Et le ton peut être bien différent, comme l’explique Yasmine: «De jour nous avons davantage à faire au réseau du jeune, à ses parents, à son infirmière scolaire, qui s’inquiètent pour lui. Alors que la nuit le numéro est souvent composé par le jeune lui-même dans un moment d’angoisse.» La semaine précédente, quinze personnes ont appelé la ligne de jour, six la nuit.
De l’impuissance, de la tristesse ou l’envie de mettre fin à ses jours directement exprimée sans prendre de pincettes: les mots que les trois professionnelles entendent, au bout du fil, demandent une réaction immédiate. «Dernièrement un jeune a laissé un message sur le répondeur en disant qu’il n’allait pas du tout bien et qu’il allait se tuer. Quand on entend ça, on est inquiètes», raconte Eléonore. Elle se souvient particulièrement d’un garçon aux idées suicidaires déjà avancées: «Quand un adolescent raconte des scénarios qu’il s’est imaginés, nous devons le prendre au sérieux. Ce jeune m’a dit qu’actuellement son objectif était de mourir. Cela m’a touchée.» À ses côtés, Yasmine confirme: «Chaque histoire est singulière, nous sommes en première ligne, au plus fort du mal-être. Je me souviens de quelqu’un qui m’a dit: « Si je pars d’ici, je me jette sous une voiture. » C’était une situation concernant un mineur. Nous avons donc contacté les parents, qui l’ont emmené aux urgences. Dans tous ces cas de figure, une part d’angoisse reste.» Lors de chaque appel, elles doivent savoir identifier sa gravité. «Si on sent que le jeune risque de se faire du mal, on lui proposera une rencontre dans le jour qui vient ou on l’orientera vers les urgences», continue Adriana.
Le rôle de l’unité de crise Malatavie est aussi de rencontrer – entre trois et cinq fois – les adolescents qui expriment leur mal-être. Un accueil sans rendez-vous est ouvert les mardis et mercredis après-midi. Les entretiens sont ensuite payants, mais remboursés par l’assurance maladie. Pour les membres de l’équipe, chaque rencontre est marquante et certaines peuvent se révéler plus difficiles que d’autres. «Par exemple, ce n’est pas toujours facile de recevoir l’agressivité d’un parent qui se sent impuissant. Il faut apprendre à l’accueillir de la bonne façon, continue Adriana. Souvent, le jeune nous dit: « À quoi ça sert de venir ici? » Puis les adolescents se rendent compte que parler a des effets, qu’on peut les aider et leur permettre de tenir le coup.»

Ligne Ados : 022 372 42 42
preventionsuicide@hcuge.ch