TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: MURIEL ANTILLE

Serrurier-dépanneur en Suisse romande, Romain Guiton vole au secours de ceux qui n’arrivent pas à ouvrir leur porte. Son téléphone peut sonner à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Après dix ans dans ce métier, le technicien a vécu toutes sortes de situations et remarque que la plupart des gens ne savent pas comment fonctionne leur serrure.
Lui et ses collègues travaillent aussi régulièrement avec les forces de l’ordre, lors de cambriolages, de perquisitions ou de décès.

Assis sur le carré d’herbe devant leur immeuble, Adrien et Camille se lèvent d’un bond en voyant déboucher la camionnette blanche. Romain Guiton, le serrurier qu’ils ont appelé au secours est à peine descendu de son véhicule que, déjà, ils le rejoignent sur le parking, leur bébé dans les bras. «On a la clé, mais la serrure reste bloquée», explique le jeune couple fribourgeois. Après les salutations d’usage, le dépanneur leur emboîte le pas jusqu’au premier étage. Il essaie d’abord d’ouvrir la porte de manière classique, sans succès. «Des fois, tu arrives, tu appuies sur la poignée et cela s’ouvre. Les gens restent bêtes», confiera-t-il plus tard. Pour le moment, tournevis à la main, Romain s’attaque aux protections dorées qui encadrent la serrure. Une fois celles-ci retirées, il empoigne une pince et annonce: «Je vais être obligé de casser le cylindre pour entrer». Aussitôt dit, aussitôt fait. Moins d’une minute plus tard, le battant pivote, dévoilant l’intérieur de l’appartement.
«J’ai utilisé la technique du parfait cambrioleur», sourit le dépanneur, refusant d’en dire davantage. Celui qui exerce ce métier depuis dix ans assure qu’il fait attention à ce que les clients ne voient pas comment il procède. «Je me cache un peu avec le corps. Parfois, il y a des gens curieux, alors je leur demande de s’écarter. Je ne veux pas donner de mauvaises idées.» Adrien et Camille, eux, sont surpris par la facilité avec laquelle Romain a pu entrer chez eux. «C’est étonnant quand même que ce soit aussi rapide», souffle le jeune papa. Une remarque qui n’étonne pas le dépanneur: «Les gens ne se rendent pas compte de comment fonctionne leur serrure. C’est comme une voiture, on s’en sert, mais on n’ouvre jamais le capot.»

«Je reçois tous les appels, même la nuit»

Désormais, l’objectif, pour lui, est de tout remettre en état. «On ne laisse jamais une porte ouverte. Dans les véhicules on a de quoi régler 90% des situations. Si vraiment, on ne trouve pas de solution, on pose un verrou en attendant.» Dans le cas présent, il s’agit d’un modèle classique et Romain déniche rapidement un équivalent dans sa camionnette. Mais le morceau de métal est légèrement trop large et le dépanneur doit donc agrandir l’encoche sur le côté de la porte avec un ciseau à bois. Le bruit se répercute dans tout l’immeuble en ce début de soirée. «Des fois, suivant l’heure, cela gueule un peu, mais on n’a pas vraiment le choix.»

Car le trentenaire est responsable technique chez ABS Serrurerie, une entreprise de dépannage basée au Bouveret (VS) et active 24h sur 24 à travers la Suisse romande. «C’est toujours moi qui reçois les appels, même la nuit. Cela permet un meilleur suivi et d’éviter aux techniciens la tentation d’inciter le client à attendre le lendemain matin.» Des techniciens, justement, qui touchent une prime d’astreinte les soirs où ils sont de piquet et un forfait pour chaque dépannage réellement effectué. «C’est la roulette russe, on ne sait jamais combien on va en avoir», glisse Romain tout en réglant quelques détails sur le mécanisme. Un engagement de chaque instant qui ne le dérange pas. «J’aime bien ce travail parce qu’il faut toujours trouver des solutions différentes et qu’on vient en aide aux personnes. Ma copine travaille aux urgences, donc je dis souvent que je suis urgentiste des serrures», souligne-t-il. Un dernier petit coup d’aspirateur et Romain peut remettre à Adrien les trois nouvelles clés de l’appartement. Le dépannage coûtera environ 500 francs à la gérance.
«Maintenant, on rentre le plus vite possible à la maison», sourit le Vaudois en sautant dans sa camionnette. «Là, c’était vraiment l’intervention classique. Ce n’est pas toujours aussi simple. Des anecdotes, je pourrais en écrire un livre», confie-t-il en conduisant. Il se souvient notamment d’un homme qui les a appelés à 5h du matin, un dimanche, pour débloquer sa serrure. «Au moment où on ouvre la porte, on a vu une main à l’intérieur la repousser. En réalité, c’était chez sa copine et elle l’avait mis dehors.»

«J’aime cette adrénaline»

Le technicien se dit pourtant très prudent, cherchant toujours à vérifier l’identité de ses clients. «Il faut faire attention à qui nous demande d’ouvrir la porte, ne pas avoir peur de poser des questions, de sonner chez les voisins ou même d’appeler la police.» Les forces de l’ordre, justement, sont l’un des clients réguliers de l’entreprise ABS Serrurerie. «Ce sont souvent les interventions les plus marquantes. Cela peut être suite à un cambriolage, ou pour ouvrir une porte en cas de perquisition ou même de décès.» Des dépannages qui sont parfois une source de stress. «Au début, quand la police t’appelle, ça fait bizarre. Tu as direct la tension qui monte, mais, avec le temps, je dois dire que j’aime bien cette adrénaline», assure-t-il en parquant sa camionnette devant chez lui.
Il est 20 h 30 quand Romain franchit sa porte. «Même si on est à la maison, il y a toujours le risque de devoir repartir rapidement. Tu fais du sport, tu prends ta douche, tu peux être sûr que c’est à ce moment-là qu’il y aura un appel.» Ce qui ne l’empêche pas de se laisser tomber dans son canapé avec son chat. «Là, j’espère juste que le téléphone ne sonne plus jusqu’à demain matin.»