TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: LAURENT CROTTET

À Gurmels (FR), Stefan Etienne élève des escargots comestibles depuis quatre ans. Au total, il s’occupe de plus de 150 000 gastéropodes.
Chaque automne, aidé par des amis, il récolte ses invertébrés, qu’il cuit, met en bocaux puis vend dans des marchés ou à différents restaurants romands.
Une profession insolite que le Fribourgeois a découverte par hasard lors d’une balade avec sa fille, et qu’il concilie avec son rôle de père au foyer.

Sous chaque planche de bois se nichent une, cinq, dix, cinquante ou cent petites coquilles aux reflets bruns. Et des planches, dans l’élevage de Stefan Etienne à Gurmels (FR), il y en a beaucoup. Au total, ce sont plus de 150 000 escargots qui se dissimulent dans un enclos de 400 mètres carrés, envahi par la végétation. Derrière les petites barrières électrifiées hautes d’une quarantaine de centimètres s’étendent six longues cabanes en forme de Toblerone. «Cette structure leur permet de se protéger contre les aléas de la météo. Par exemple, ils n’aiment pas le soleil parce que cela les assèche», explique le propriétaire des lieux en marchant entre les rangées qu’il a construites lui-même. C’est, d’ailleurs, pour cette raison que le Fribourgeois attend la tombée du jour avant de commencer à arroser son installation. «Quand c’est mouillé, ils peuvent se déplacer en utilisant moins d’énergie. Vous verrez, dans vingt minutes, ils vont commencer à sortir», assure celui qui s’est lancé dans l’élevage des gastéropodes comestibles début 2015. Quelques mois auparavant, lors d’une promenade avec sa fille, il déniche une cinquantaine d’escargots en moins de trente minutes. «En rentrant à la maison, j’ai fait quelques recherches, et cela a été comme un choc pour moi: je devais faire ça!» raconte-t-il en mimant une électrocution.
Lui qui a été tour à tour boulanger, cuisinier, ouvrier puis commercial cherchait alors un travail qu’il pouvait concilier avec son rôle de père au foyer. «Au début, mon entourage était surpris et pas très convaincu», sourit-il. Pourtant, ses efforts ont fini par payer. Cette année, pour la première fois, l’exploitation est dans les chiffres noirs. Tout en parlant, le quinquagénaire soulève une nouvelle planche et pointe un escargot beaucoup plus gros que ceux qui sont arrivés le mois dernier en provenance d’Allemagne. «Celui-ci a survécu à la récolte de l’année dernière.»

«On les récolte lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte mais avant qu’ils aient pondu.»

Stefan Etienne, héliciculteur

«Des conditions parfaites»

Chaque automne, le Fribourgeois recrute quelques amis pour attraper les dizaines de milliers d’escargots de son élevage. Si ces gastéropodes peuvent vivre jusqu’à 20 ans, c’est à 6 mois que Stefan Etienne tente de les ramasser. «On les récolte lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte, mais avant qu’ils aient pondu (lire encadré). Dans la nature, cela prend un an et demi, mais ici cela va trois fois plus vite, car ils sont dans des conditions parfaites», détaille-t-il. En plus du colza, des radis et des choux qui poussent sur son terrain, l’éleveur fournit aussi aux gastéropodes un aliment complémentaire riche en calcaire. «Mais tout est 100% naturel, je n’utilise jamais rien de chimique», affirme-t-il en répartissant la farine beige au-dessus des cabanes.
Dans son enclos, les escargots sont également protégés des oiseaux, qui peuvent décimer jusqu’à 15% des effectifs. «Jusqu’à maintenant, j’utilisais des filets, mais cela me prenait beaucoup de temps à mettre en place, et, comme je suis tout seul, ce n’était vraiment pas pratique.» Depuis le début de l’année, le Fribourgeois a donc décidé de faire confiance à de petits boîtiers en plastique qui émettent un léger sifflement pour effrayer les volatiles. «Pour le moment, on dirait que ça marche», constate-t-il, satisfait.

DE LONGS EBATS


BAu détour d’une rangée, Stefan Etienne soulève un escargot de la taille d’une pièce de cinq francs. De petits œufs blancs, à moitié enfouis dans le sol, apparaissent. «Les escargots sont hermaphrodites. Cela veut dire qu’ils ont les deux sexes en même temps. Tous les deux peuvent pondre», rappelle l’éleveur. Il attrape deux gastéropodes, qu’il positionne face à face et explique: «Leurs organes génitaux sont sur la droite, ils se placent donc comme ça et ils sortent de leurs coquilles pour s’enlacer. Cela dure environ dix heures.»

Mais son travail ne s’arrête pas à l’élevage. Stefan Etienne a également transformé la cave de sa maison en cuisine afin d’y préparer les gastéropodes. «Aujourd’hui, j’ai passé six heures à laver les coquilles pour pouvoir remettre les escargots à l’intérieur avec du beurre à l’ail fait maison.» Il détaille la recette qu’il a perfectionnée lors d’un séjour en France: «Je fais une première cuisson de six minutes, puis je retire les intestins, et je les fais baver une première fois. Quand c’est fait, je les cuis vingt minutes et je les fais baver une seconde fois. Finalement, je les passe au court-bouillon pendant trois heures et demie avant de les stériliser (réd: pour détruire les bactéries).» Il vend ensuite sa production sur les marchés, sur son site Internet ainsi que dans quelques magasins et restaurants de la région. «Vous pouvez les manger comme vous voulez. Normalement, on les fait à la poêle ou au four, mais vous pouvez laisser libre cours à toutes les fantaisies.» Bon vendeur, l’éleveur incite à consommer des escargots. «C’est très sain, ils contiennent des minéraux, beaucoup de protéines et peu de graisse», affirme-t-il. Avec un sourire, il ajoute: «Les miens sont les meilleurs, ils sont petits et tendres parce que je les cuis longtemps.»