TEXTES: FABIEN FEISSLI PHOTOS: CHRISTIAN BONZON

Dans les coulisses de l’aéroport de Genève, Dimitri Litsinkyy et Ana Medeiro ont la lourde responsabilité de mettre en marche le tri des bagages tous les matins à 4 h.
Une fois que les quatre kilomètres de tapis se sont mis en branle, les guichets d’enregistrement ouvrent et les passagers peuvent commencer leur voyage.
Les deux coordinateurs doivent, ensuite, réagir au quart de tour au moindre problème. Un bouchon dans le «tribag» peut mettre tout l’aéroport en retard.

Il est 3 h 40, en ce mardi matin, à l’aéroport de Genève. Encore enveloppés de la torpeur de la nuit, de nombreux passagers s’éparpillent dans le hall des départs. Assis sur un banc ou à même le sol, ils attendent que les guichets d’enregistrement ouvrent afin de pouvoir y déposer leurs bagages. Mais, pour cela, il faut que le «tribag», le gigantesque réseau de quatre kilomètres de tapis qui serpente d’un bâtiment à l’autre, se mette en branle. Ceux qui ont le pouvoir de réveiller le monstre, ce sont Dimitri Litsinkyy et sa nouvelle collègue Ana Medeiro. Comme tous les matins, ils ont franchi le contrôle de sécurité réservé aux employés à 4 h avant de rejoindre leur poste de travail dans les entrailles de l’aéroport. Et, si la pièce qu’ils occupent ne possède pas de fenêtre, ses murs sont, en revanche, tapissés d’une multitude d’écrans affichant des dizaines de caméras de surveillance. Toutes montrent une petite portion d’un dédale de tapis encore immobiles. Penchés sur un ordinateur, les deux coordinateurs activent le tri des bagages. «Il suffit d’un clic. Quand on allume, le check-in peut ouvrir, l’aéroport prend vie et les gens peuvent commencer leur voyage», explique Dimitri Litsinkyy. Malgré l’heure très matinale, les retards au travail sont donc à proscrire. «Les nuits courtes, cela ne me pose pas de problème. C’est une habitude à prendre et une hygiène de vie à avoir. Mais on reste humains, c’est pour cela que l’on est deux», assure le jeune homme de 28 ans, en jetant un œil à l’écran de contrôle qui s’anime déjà. Le terminal T1+, celui d’Easyjet, affiche directement un rythme de 164 bagages par heure. Bien loin, cependant, du pic maximal déjà atteint à Genève: 2200 valises en soixante minutes.

«On n’est jamais à l’abri d’une surprise, il y a toujours des moments de stress.»

Dimitri Litsinkyy, coordinateur flux bagages

«Le casino»

«Au total, nous avons neuf lignes différentes plus trois lignes pour tout ce qui est hors gabarit, comme les skis ou les vélos. Notre travail principal, c’est de faire en sorte qu’elles fonctionnent en permanence», détaille le jeune homme. D’un clic, il fait disparaître le schéma simplifié, et le véritable tracé apparaît sur l’ordinateur. Les tapis s’entortillent dans tous les sens, multipliant les boucles et les virages. «On appelle cette zone « le casino », c’est là où on va vérifier le bagage avant son embarquement. C’est comme pour un passager, s’il y a quelque chose de suspect, il faut pouvoir le mettre de côté sans ralentir le…» Avisant un carré rouge sur son écran, Dimitri bondit sur ses pieds et décroche le téléphone. «Il y a un bouchon qui commence à se former, tu peux regarder?» demande-t-il à un bagagiste. Sur l’une des caméras de surveillance, le coordinateur pointe deux valises qui se sont coincées à un croisement. «On n’est jamais à l’abri d’une surprise, il y a toujours des moments de stress, mais, avec l’expérience, tes yeux se posent directement sur certaines zones et tu apprends à gérer les différentes pannes», explique-t-il en se rasseyant.

Installée il y a une trentaine d’années, l’infrastructure a été informatisée il y a trois ans. Ce qui offre de nouvelles possibilités aux huit coordinateurs qui se relaient pour la piloter. Désormais, ils peuvent, par exemple, modifier le sens des tapis pour faire passer les valises par un autre chemin. Des chemins que Dimitri, qui travaille depuis dix ans à l’aéroport, connaît par cœur. Ce qui est rarement le cas des passagers, à l’entendre. «Ils ne se rendent pas compte de tout ce qu’il se passe. Sinon, ils arrêteraient de coller des étiquettes « fragile ». Un système de tri, cela reste des machines qui ne vont pas dorloter les bagages.» À côté de lui, sa collègue Ana Medeiro abonde. «Avant, je travaillais aux guichets d’enregistrement: les gens ne savent pas du tout ce qu’il se passe une fois que leur valise part. En revanche, ils ont vraiment cette peur de ne pas la récupérer à l’arrivée», raconte celle qui a commencé, début juin, en tant que coordinatrice, devenant ainsi la première femme à occuper ce poste. «C’est un nouveau défi pour moi. On nous oublie un peu, mais c’est un travail où on doit prendre beaucoup de décisions importantes», affirme la trentenaire. En effet, en cas de panne du système, la situation peut très vite devenir problématique. Il y a deux ans, un court-circuit avait engendré une journée de crise à Cointrin, même les pompiers avaient été réquisitionnés pour aider les centaines d’opérateurs habituels à transporter les valises. «On a pour habitude de dire que, si le tri va, tout va. Car, si les bagages ne sont pas là, l’avion devra partir sans ou alors en retard. Et, avec la rotation des appareils, ce retard va se répercuter sur toute la journée», souligne Sara Branco, en pénétrant dans la cabine de pilotage. Experte «flux bagages» au sein de l’aéroport, elle rappelle qu’une nouvelle installation est attendue pour 2022. Une perspective qui séduit déjà Dimitri. «Aujourd’hui, nous avons une chenille, bientôt ce sera un papillon. Cela me plaît de plus en plus.»