TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: GEORGES HENZ

À la Clef des Champs à Courgenay (JU), les légumes ne se paient pas qu’avec le porte-monnaie: en plus de verser 1050 francs par an pour obtenir sa livraison hebdomadaire, chacun doit mettre les mains dans la terre.
Séduits par ce mode de fonctionnement, certains des 214 clients viennent même bénévolement donner de leur temps une fois leurs 18 heures annuelles obligatoires effectuées.
L’entité s’est constituée sous la forme d’une coopérative pour garantir à tous une place équitable au sein du groupe.

Plongé au beau milieu des salades, Carlos Sebastian arrache une poignée de mauvaises herbes. Le soleil qui tape sur ses épaules, en cette fin de matinée estivale, ne fait pas fléchir le préretraité de 59 ans: «Je viens ici, depuis plus de dix ans, au moins une fois par semaine, ce n’est vraiment pas une corvée pour moi.» À l’image de cet ancien employé de commerce, une bonne dizaine d’autres personnes s’affairent à leurs tâches dans les cultures. Ils ne sont pas maraîchers, mais infirmiers, parents au foyer ou employés dans d’autres domaines: ils ont appris à avoir la main verte grâce au système plutôt atypique choisi par la Clef des Champs. Cette coopérative, installée depuis 30 ans à Courgenay (JU), a décidé d’inclure, à sa façon, toutes les personnes qui souhaitent profiter de leurs livraisons de légumes biologiques. Elle demande à chacun d’effectuer, au minimum, 18 heures de travail dans les champs, pendant l’année, en plus de payer la cotisation annuelle. Celle-ci s’élève à 1050 francs pour recevoir 36 paniers avec assez de produits pour quatre personnes. «Si on calcule tout ce qu’on met dans les paniers, on arrive au prix qu’on paierait pour avoir la même quantité, mais en légumes non bio», explique Denis Anselmo, maraîcher coresponsable de la Clef des Champs. Les heures de bénévolat permettent donc de compenser le coût plus élevé d’une agriculture biologique. Et ici, on ne lésine pas sur les quantités: en hiver, il est arrivé qu’un panier pèse douze kilos.

Jusqu’à trente personnes en jour de récolte

Alors, si la méthode peut étonner, elle est loin de décourager les 214 membres de la coopérative, bien au contraire. «On le voit comme un investissement pour notre santé et pour le développement de ces cultures biologiques, on est vraiment convaincus avec mon mari», réagit Laurence Breuleux, mère au foyer de 39 ans. Elle vient tous les jours de récolte, comme ce mercredi, depuis douze ans. Cette fidélité, Denis l’apprécie: «On compte beaucoup sur les gens, sans eux, rien de tout cela ne serait possible.»

«Si on calcule tout ce qu’on met dans les paniers, on arrive au prix qu’on paierait pour avoir la même quantité mais en légumes non bio.»

Denis Anselmo, coresponsable de le Clef des Champs

Bien sûr, les gens pourraient aller chercher leur panier ailleurs, mais s’ils sont ici, c’est qu’ils ont un intérêt pour notre projet. 

Yann Meury, coresponsable de le Clef des Champs

Au total, la Clef des Champs possède 3,5 hectares de surface au sol, dont deux sont cultivés. Cette parcelle conséquente inclut également un projet de permaculture. Il ne pourrait simplement pas subsister sans cet engagement citoyen. «On est dans une grosse journée de récolte. On peut avoir jusqu’à trente personnes qui viennent nous aider, cette force collective est extraordinaire», confie Denis. Pas question, pour les maraîchers professionnels, de donner des ordres sans rien faire. Eux aussi travaillent aux côtés des bénévoles. «Combien de caisses doit-on remplir?» le questionne une femme depuis les champs. «Il nous faut 320 salades, donc ça en fait… pas mal!», lui répond-t-il en souriant avant de la rejoindre pour aller faire le compte exact.

«Les jeunes croient que les légumes viennent du magasin»

Production des plantons, plantation, entretien des cultures, récolte ou distribution des paniers: les coopérateurs s’occupent de tout. «Bien sûr, les gens pourraient aller chercher leur panier ailleurs sans travailler, mais s’ils sont ici, c’est qu’ils ont un intérêt pour notre projet», continue Yann Meury, le second maraîcher de l’équipe. Pour Colombe Salomon, retraitée de Porrentruy, aller chercher un panier chaque semaine sans cet échange, cela serait bien différent: «Recevoir sans participer? Cela m’ennuierait beaucoup. Cet espace où je peux cueillir, je m’y fais plaisir, sentir les arômes au plus près de la terre avant de les avoir chez soi, cela fait partie de mon bien-être.»
Les coopérateurs rencontrés sur place sont unanimes: travailler avec les maraîchers permet aussi de réaliser comment sont nés les produits consommés. «On se rend compte de tout le boulot que cela représente et cela ne peut être que positif, surtout qu’aujourd’hui, beaucoup de jeunes croient que les légumes viennent directement du magasin», continue Carlos. La Clef des Champs c’est aussi un lieu de rencontres et de partage: pour le midi, ça sera une lasagne de fenouil et des lentilles apportées par deux membres de la coopérative qu’ils dégusteront ensemble. «L’équipe m’a fait rester, depuis 1990, on s’y sent bien, raconte Marie-France Paupe Vitali, puéricultrice. On n’est pas des spécialistes, mais c’est égal, on peut demander des conseils aux maraîchers. Moi, par exemple, je me souviendrai toujours de ma première plantation… elle n’était pas droite. Depuis, je le laisse aux autres et je travaille sur d’autres choses!»
Malgré l’aide de ces membres et aussi de leurs familles, ce qui représente au total presque 600 personnes, les deux maraîchers ont accumulé 900 heures supplémentaires la saison dernière. «Intégrer la population dans une communauté comme celle-ci permet aussi de mettre en lumière cette réalité de notre métier, reprend Denis. J’ai entendu dire qu’il y a deux jobs qui causent un traumatisme chez les enfants, car ils ne voient pas leurs parents: restaurateur et maraîcher.» Les coresponsables de la Clef des Champs sont tout de même convaincus que leur fonctionnement peut aider, justement, à valoriser leur métier. Et inciter la population à s’investir pour demain dans ce type d’agriculture.