TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: SEDRIK NEMETH

Faire tourner la roulette ou distribuer cartes et jetons: les croupiers romands font une formation bien particulière pour pouvoir rejoindre un casino.
Marie et Ramzi, ont décidé de suivre cette voie. Ils font partie de la relève et sont tenus d’effectuer six semaines de cours intensifs à l’école Casino Formation, à Saxon.
Même s’ils évoluent dans l’univers du divertissement, ils sont soumis à des règles strictes: un seul geste imprécis et ils pourraient être accusés de tricherie.

«La main droite, je la mets en bas, comme ça je suis prêt à passer le stack (réd: un ensemble de jetons) droit devant moi.» Sous les yeux de ses deux élèves, Marco Zampaolo fait la démonstration des bons gestes à adopter. Sur la table, il déplace avec adresse, et du bout des doigts, le tas composé de vingt jetons d’un côté à l’autre du tapis. Puis il observe Marie Isnard, 18 ans, et Ramzi Elbenna, 25 ans, répéter ces mêmes mouvements. Pendant une bonne vingtaine de minutes, les deux apprentis croupiers ne feront que cet exercice. «Ils doivent acquérir une méthode bien spécifique, cela peut paraître tout simple, alors qu’au contraire c’est complexe», poursuit le formateur.
Une seconde plus tard, la tour de pièces de Ramzi s’écroule. «On recommence, ta base n’était pas assez compacte et il faut mieux décaler l’auriculaire pour changer de direction», lui fait remarquer celui qui a exercé dans le domaine pendant dix ans. Marco s’occupe, aujourd’hui, d’enseigner à la relève à Saxon, à Casino Formation. Née en 2008, c’est la première école professionnelle de Suisse qui forme les croupiers. Son fondateur, Carlos Pires, accueille chaque année une douzaine d’élèves pour leur permettre de rejoindre ce milieu de la nuit.

«Je crains davantage les calculs»

Les apprentis suivent un cursus intensif de six semaines avant de partir en stage. Dextérité, bonne présentation, facilité en calcul mental et contact avec les clients, les exigences pour devenir croupier sont nombreuses. Sans compter le métier en lui-même, qui impose des horaires nocturnes et irréguliers. «Ces conditions impliquent un tournus assez fréquent chez les professionnels. Beaucoup ne vont finalement pratiquer que quelques années», explique le fondateur de l’école. D’ordinaire, un croupier travaillera de 16 h à minuit.
Ces contraintes sont loin d’effrayer Marie, qui a enchaîné les petits boulots avant de se lancer, à sa majorité, dans la formation. «Ce monde un peu mystérieux, secret, dont on entend peu parler, m’a toujours attirée. Je n’avais jamais mis les pieds dans un casino et je pensais même que ce métier était inaccessible.» Sa spécialité? La manipulation des cartes: «Je viens d’une famille du sud de la France, où on y joue énormément, j’adore les distribuer, les toucher, on a une sensation spéciale.» Plongée dans cet univers plutôt masculin, elle se sent déjà à sa place, après une semaine seulement de cours. «Ce que je crains davantage, ce sont les calculs, il faudra que je travaille bien là-dessus, on ne peut pas commettre d’erreur.» Car le moindre faux pas de sa part, dans un vrai casino, pourrait faire gagner des centaines de francs à un client qui ne les a pas remportés.

«En faisant glisser la bille sur cet objet, on s’assure qu’elle n’a pas été échangée contre une aimantée par quelqu’un qui serait tenté de tricher.»

Marco Zampaolo, formateur

Alexis Pereira, ancien élève de l’école qui s’entraîne, ce soir-là, à la table d’à côté, confirme: «Beaucoup de gens ne se rendent pas compte de la difficulté de notre métier, ils pensent qu’on ne fait que du divertissement. Nous devons être très carrés, pour ne rien laisser passer, tout en sachant jongler avec une part d’animation pour le client.» Cet aspect aussi s’entraîne. Quotidiennement, les élèves doivent essayer de faire baisser leur chronomètre au chipping: le fait de prendre les jetons sur la table d’une façon bien particulière, et le plus rapidement possible.

Des détails qui peuvent faire la différence

«Chef, rien ne va plus.» Seule à la table de la roulette, Marie interpelle son supérieur, Marco, la mine coupable. Elle vient de faire tomber la bille sur le sol et ne doit plus rien toucher. Il se chargera d’aller la ramasser en sortant un objet rectangulaire de sa poche. «On fait glisser la bille dessus», explique-t-il, en effectuant le mouvement à deux reprises. «Ainsi, on s’assure qu’elle n’a pas été échangée contre une aimantée par quelqu’un qui serait tenté de tricher.»

«On est dans un univers avec de grosses sommes d’argent. Il faut aussi être capable d’identifier l’excès chez certains joueurs.»

Marie Isnard, apprentie croupière

En conditions réelles, un professionnel comme lui doit toujours être présent pour superviser ce genre de situation ou surveiller du coin de l’œil que tout se passe bien aux tables de jeu. De son côté, Ramzi se perfectionne au black jack. «Tu prends la carte noire pour couper le tas, ensuite Madame va également devoir couper avant que tu ne mettes les cartes dans le sabot», lui explique Marco. Avec le temps, il saura le faire, lui aussi, plus rapidement. «Au début ce n’est pas évident d’assimiler directement la bonne manière de faire, il y a toute une technique derrière», réagit-il.
Pendant ces soirées d’apprentissage, ils auront aussi des cours sur les lois et la prévention. «On ne se rend pas compte de certaines choses qui semblent être des détails. Comme le fait qu’on ne doit pas tenir la bille plus de cinq secondes dans nos mains, sinon on risque d’être amendé ou accusé de tricherie, continue Marie. On est dans un univers avec de grosses sommes d’argent. Il faut aussi être capable d’identifier l’excès chez certains joueurs.» Les croupiers doivent donc acquérir ces compétences de manière à encadrer une soirée de jeu et devenir des animateurs de table expérimentés.