TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: MURIEL ANTILLE

Directeur de la fondation Mère Sofia qui vient en aide aux plus démunis à Lausanne, Yan Desarzens est aussi passionné d’arts martiaux. Champion suisse junior de boxe thaïlandaise à dix-sept ans, le Lausannois pratique aujourd’hui le kick-boxing. Une manière pour lui de se vider la tête. Si ses adversaires sont parfois surpris par cette double casquette, lui souligne que les sports de combat lui ont donné une assurance très utile dans son travail quotidien.

Au rez-de-chaussée de la rue des Avelines, à Lausanne, les préparatifs de la soupe populaire battent leur plein. D’ici un peu plus d’une heure, comme chaque soir, 250 personnes viendront bénéficier d’un repas chaud et de l’écoute offerte par les bénévoles. Un étage plus haut, Yan Desarzens, le directeur de la fondation Mère Sofia, termine sa journée. Son incontournable veste de cuir sur le dos, il attrape son sac de sport et quitte son bureau en activant l’alarme derrière lui. Comme tous les mardis soir, du moins quand son emploi du temps le lui permet, le Lausannois se rend à son entraînement de kick-boxing. «Cela peut paraître paradoxal, mais cela me permet d’évacuer la pression et de vider toute l’énergie négative, que ce soit sur un sac de frappe ou sur mon adversaire», explique-t-il en chemin. Yan Desarzens pratique les sports de combat depuis l’adolescence. Il y a d’abord eu le kung fu à 13, mais très vite, cela ne lui suffisait plus. «À l’époque, j’étais un peu casse-cou, bagarreur et souvent dans la provocation. J’avais envie de monter sur un ring, j’ai commencé la boxe thaïlandaise», rembobine le quadragénaire. Le Lausannois est à fond dans la compétition, il s’entraîne cinq fois par semaine et ses efforts finissent par payer: à dix-sept ans Yan Desarzens devient champion suisse junior. «En réalité, j’ai gagné mes cinq combats par forfait. Tous mes adversaires ont laissé tomber», sourit-il en pénétrant dans le bâtiment du National Sporting Club. L’adolescent arrêtera la boxe thaïlandaise un an plus tard, incapable de concilier son rythme d’entraînement avec son apprentissage d’employé de commerce.

«Cela me permet d’évacuer toute l’énergie négative,
que ce soit sur un sac de frappe ou sur mon adversaire.»

Yan Desarzens, directeur de Mère Sofia

Après avoir traversé une grande salle plongée dans la pénombre et remplie de machines de fitness, le directeur de Mère Sofia rejoint les vestiaires d’un pas habitué. «Il y a cinq ans, je faisais plus de 100 kilos. Ma fille a voulu faire du kick-boxing et je l’ai accompagnée. Je me suis tout de suite retrouvé dans mon élément. J’ai demandé si je pouvais aussi suivre les cours.» Très vite, le Lausannois se remet à la course et, neuf mois plus tard, il a perdu tout son surpoids. Et, si sa fille arrête au bout de deux ans, lui reprend le fil de sa passion. «J’aime le dépassement de soi et la décharge d’adrénaline que cela procure», décrit-il en terminant de se changer.

«Yan, tu ne vomis pas ici»

Dans la salle, l’entraînement a déjà commencé. Yan attrape une corde à sauter et se joint au reste du groupe pour un échauffement dynamique sous les ordres de Carlos, l’entraîneur. Pompes, abdos, gainage, saute-mouton, tout y passe. Bientôt, la demi-douzaine de participants, cinq hommes et une femme, sont prêts à passer aux exercices de frappe. Chacun leur tour, ils répètent leurs gammes sur le bouclier rembourré tenus par leur partenaire. «Le kick-boxing est un sport qui te fait découvrir la puissance de ton corps et qui t’apprend à la maîtriser», explique Carlos tandis que l’écho des coups de poings et de pieds résonne dans la salle. L’entraîneur assure que ses cours sont ouverts à tous et qu’il met avant tout l’accent sur le fait d’avoir une bonne ambiance. «Yan, tu ne vomis pas ici», lance-t-il à son poulain avant de reprendre: «Il faut être capable de faire attention à la personne en face, nous ne sommes pas là pour nous agresser.»

Les mains sur les genoux, tentant de retrouver son souffle, Yan confirme: «Le but, c’est de toucher, pas de faire mal. Si tu prends un mauvais coup, cela fait partie du jeu.» Les participants s’apprêtent, d’ailleurs, à passer aux choses sérieuses. Après une bonne rasade d’eau, Yan enfile son protège-dents orné de deux crocs de serpent et fait face à son adversaire du soir: Alain, un solide gaillard de vingt-cinq ans. Sur les tapis rouges, le combat s’engage entre les deux hommes. «On voit tout de suite que Yan ne part pas de zéro. Il y a quelques mouvements que son cerveau a retenus et qui lui viennent naturellement», observe Carlos. Les coups de pied notamment. À plusieurs reprises, le directeur de Mère Sofia tente d’atteindre son partenaire directement à la tête.

«La vie extérieure reste à l’extérieur»

«J’adore, c’est ma marque de fabrique», reconnaît-il sans peine, une fois les trois minutes terminées. Son adversaire peut-être un peu moins. «Il lui manque un peu de cardio, mais il donne de bons coups de pied. Je vous assure que quelquefois il me fait mal», sourit Alain. Le jeune homme admet avoir été surpris de découvrir le travail de Yan. «C’est vrai que c’est étonnant, tu vois qu’il se défoule sur nous à l’entraînement en sachant que de l’autre côté il aide les gens. Mais bon, ici, la vie extérieure reste à l’extérieur.» Le directeur de Mère Sofia souligne, lui, ce que la pratique des arts martiaux lui a apporté dans son métier. «Cela nourrit l’ego de se retrouver seul face à un adversaire. Je ne cherche pas la violence, mais elle ne me fait pas peur.» Une assurance qui lui a été bien utile, notamment quand il travaillait en prison ou avec des personnes toxicomanes. «Dans certains cas, cela m’a aidé à rester calme. La personne en face ne va pas pouvoir profiter d’une éventuelle situation de faiblesse.» Et, si le directeur de Mère Sofia assure qu’il fait désormais du kick-boxing pour le plaisir, il avoue qu’il n’a pas totalement abandonné l’idée de remonter sur un ring. «J’aimerais, mais ce ne serait sans doute pas très raisonnable. À cause de mon âge et aussi de mon statut. Si je finis un combat avec les deux yeux au beurre noir et que le lendemain j’ai un rendez-vous important avec un élu… Je ne vais pas pouvoir dire que je suis tombé dans les escaliers.»