TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: SEDRIK NEMETH

Pour des raisons de santé, Frida, Andrea, Maria et Mathieu ont quitté leur maison pour vivre en colocation.
Ils ont rejoint un des huit appartements Domino à Sierre: ici, le centre médico-social (CMS) assure une présence pour les tâches de la vie quotidienne.
Tous ont leur propre chambre, avec leurs anciens meubles. Ils assurent avoir ainsi pu garder leur indépendance, tout en se sentant moins seuls et en sécurité.

En poussant la porte de sa chambre, Andrea Zufferey, 88 ans, pointe du doigt un tableau qu’elle affectionne tout particulièrement accroché au mur. «C’est une jolie peinture de paysage que j’avais à la maison, j’ai pu l’emporter», sourit l’octogénaire. Elle nous montre aussi, avec émotion, la photo de son mari, aujourd’hui décédé, précieusement conservée dans un cadre posé sur une étagère. Tout autour, des dizaines d’autres souvenirs avec sa famille sont mis en évidence. «Ils m’ont laissé prendre tout ce que je voulais. Je suis chez moi ici, avec mes meubles, ma télévision et une magnifique vue. Je pense qu’on m’a donné cette belle chambre parce que la dame qui gère les lieux vient du même village que moi», confie-t-elle, ravie, en donnant un coup de brosse à ses cheveux dans sa salle de bain privée.
Juste à côté d’elle, dans les autres pièces qui longent le couloir gris, Frida, Maria et Mathieu ont, eux aussi, recréé leur petit chez-eux. Quatre seniors qui ne se connaissaient pas auparavant et qui forment, aujourd’hui, une colocation du troisième âge. «Avec ces dames, on s’entend plutôt bien», lance Frida Tenud, 91 ans, assise à la table du séjour. Andrea confirme: «J’ai toujours été une personne un peu solitaire, je n’ai jamais vécu comme ça avec des gens, alors je ne peux pas dire qu’on a beaucoup de contacts entre nous, mais on cohabite bien.»

Un ancien hôtel réaménagé

Petite cuisine ouverte sur le salon, cinq chambres spacieuses et des salles de bains dans chacune d’entre elles: cet appartement, qui était un ancien hôtel, a été spécialement adapté par le Centre médico-social (CMS) de Sierre dans les années 1990. Il est devenu l’un des huit appartements Domino – pour «Domicile nouvelle option» – mis en place dans la ville afin d’accueillir des personnes d’un certain âge dans un lieu de vie commun. «C’est une offre de logement supplémentaire pour quelqu’un en âge de l’AVS, explique Isabelle Pralong-Voide, directrice adjointe du CMS de la région de Sierre. Cela s’adresse à des personnes qui ne se sentent plus suffisamment bien pour rester chez elles, mais qui ne nécessitent pas une aide 24h sur 24.»
Chaque senior loue sa chambre individuelle, depuis quelques mois, ou plusieurs années déjà. La plus ancienne ici, c’est Maria Fuchs, 95 ans, qui a emménagé il y a quatre ans. «J’ai eu des difficultés à marcher après un grave accident. À l’hôpital on m’a suggéré de ne pas rentrer seule à la maison, je pense que je resterai ici jusqu’au bout, mais cela me plaît bien.»

«On leur laisse faire un maximum de choses»

L’autre avantage de cet endroit, qu’ils louent en moyenne 2000 francs par mois, est qu’ils profitent d’une présence quotidienne du CMS: les repas de midi et du soir leur sont servis et le ménage est assuré. «On leur laisse faire un maximum de choses pour maintenir leur autonomie. S’ils veulent nettoyer eux, c’est bien, raconte Dulce Ferreira, auxiliaire au CMS. Cela n’a rien à voir avec un EMS, ils sont très libres: s’ils veulent sortir manger, ils nous avertissent. Ils ont leurs petites habitudes, l’après-midi quand j’arrive, ils sont tous dehors!» Elle précise, au moment de passer à table, que certains peuvent aussi avoir des menus particuliers gérés par les familles: «Les proches de madame Zufferey lui préparent ses repas, c’est tout à fait possible de participer de cette façon.»

«Ils m’ont laissé prendre tout ce que je voulais,
je suis chez moi ici.»

Andrea Zufferey, 88 ans

Cette indépendance, les locataires l’apprécient. Surtout que tous les quatre sont venus vivre dans cet appartement pour des raisons de santé. «Si on pouvait encore se faire à manger et se sentir mieux, bien sûr qu’on resterait plutôt à la maison, mais ce n’est plus possible», reconnaît Frida, en confiant qu’elle regrette tout de même de ne plus se réveiller face aux vignes de son terrain. Mais elle a su trouver de nouvelles occupations dans cette vie à plusieurs: lecture, promenades en ville ou jeux de cartes avec ses colocataires, «on y joue plutôt en hiver, en été, on s’occupe bien tout seul ou avec les visites de nos familles». Ils avouent volontiers que vivre en colocation avec des inconnus, après toute une vie ailleurs, peut être source de tensions. «Pour chacun d’entre nous c’est difficile de tout lâcher pour vivre ici, alors il y a parfois un peu d’agitation, conclut Frida. Mais on fait aller.»