TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: MURIEL ANTILLE

Fernando, Adrien et Ludovick sont collaborateurs funéraires à Lausanne. Le premier est, depuis trente ans, dans le métier, alors que les deux autres viennent de commencer.

De la préparation des défunts à l’écoute des familles, ils doivent continuellement 25s’adapter aux situations qui se présentent à eux, avec toujours beaucoup d’empathie.

Ils mettent en lumière le fait que leur métier est peu accepté car la mort, reste, un sujet tabou dans notre société.

«Bonjour, Adrien Blaser, Pompes Funèbres Générales.» Avec une blouse blanche sur son bras droit, Adrien s’annonce à l’interphone. Ce matin-là, il faut aller chercher un défunt à l’Institut de pathologie du Chuv, à Lausanne. Lui et son collègue Fernando recouvrent leur costard gris de cette blouse et montent dans l’ascenseur en poussant une civière. Une fois arrivés dans la pièce, ils échangent quelques mots, puis la discussion enjouée pendant le trajet laisse place au silence. «Lui, c’était un prêtre, je le connaissais bien», confie à mi-voix Fernando, visiblement touché, en refermant la housse enveloppant le corps d’un monsieur âgé. À Lausanne, depuis 1980, le collaborateur funéraire de 59 ans, qui a souhaité garder l’anonymat, voit régulièrement passer sur sa table des gens qu’il connaissait. «Même si ce sont des personnes qui me sont familières, je tiens à m’en occuper, pour les arranger à la façon dont elles étaient de leur vivant», sourit-il en reprenant le volant du corbillard.

«Si le travail est mal fait, cela peut rester
dans la tête des familles à vie.»

Adrien Blaser, collaborateur funéraire

À ses côtés, Adrien, qui a commencé il y a tout juste un an, confirme: «Si le travail est mal fait, cela peut rester dans la tête des familles à vie. Ce que nous faisons peut avoir des vertus thérapeutiques ou, au contraire, être un vrai drame.» S’il avoue ne pas être affecté par la vision d’un défunt, il se livre sur le fait que les proches, eux, peuvent parfois profondément le toucher. «J’ai été confronté à des images difficiles, lorsque des gens décident de mettre fin à leurs jours, poursuit-il. Mais il faut savoir garder son professionnalisme face aux familles.»

«On fait de notre mieux pour qu’elle parte embellie»

De retour dans les sous-sols de leurs locaux lausannois, ils placent le corps dans une chambre frigorifiée. À peine la porte poussée, une odeur âcre flotte dans l’air. «Cela vient du silicone qu’on utilise pour fermer les cercueils qui sont rapatriés à l’étranger», précise Ludovick Sonney, collaborateur depuis quatre mois, en les rejoignant dans la pièce. Au centre se trouve une table en métal immaculée. C’est là que les défunts seront lavés, maquillés et habillés pour ce qu’on appelle la mise en bière.

Quelques minutes plus tard, on leur amène un deuxième défunt. «Parfois on peut en avoir une dizaine par jour, continue Fernando en coiffant la défunte avec soin. C’était une belle femme, peut-être qu’elle ne s’est jamais maquillée, mais on fait de notre mieux pour qu’elle parte embellie.» Un coup de blush en douceur sur le visage, puis les derniers détails, toujours avec beaucoup d’attention: des œillets colorés et des feuilles sont délicatement répartis sur le linceul. «C’est notre dernier décor. Partir sans fleurs, cela ne serait pas naturel», s’applique Fernando. En une dizaine de minutes, le corps est prêt. Il souligne, toutefois, que certaines situations peuvent demander beaucoup plus de temps. «Si je trouve quelqu’un de vraiment abîmé, cela peut prendre entre quatre et six heures.» Lui-même est spécialisé dans la thanatopraxie, qui consiste à intervenir sur un corps lorsque celui-ci a vécu un traumatisme important, pour permettre aux familles de le revoir une dernière fois en bon état. «On fait tout ça pour la personne décédée, mais aussi pour eux, confie Fernando. Il est beau notre métier, j’ai beaucoup de familles qui sont venues pleurer sur mon épaule. Je préfère ce merci que de recevoir un million de francs.»

Malgré ces retours émouvants, il déplore que son travail ne soit pas davantage valorisé par la société. «Notre métier n’est souvent pas accepté, car la mort est un sujet tabou, poursuit Fernando. On entend les gens dire, parfois, qu’on fait croque-mort parce qu’on a loupé tout le reste. Cela me touche, car n’est pas un travail de bon à rien, au contraire, il faut avoir beaucoup de qualités pour le faire.» Il n’existe pas d’apprentissage pour devenir croque-mort, mais l’entreprise forme tous ses nouveaux venus à l’interne. Et croque-mort, cela ne s’improvise pas: de la manipulation des défunts à l’écoute des familles jusqu’à des travaux de menuiserie sur les cercueils, les compétences nécessaires sont vastes et rien ne peut être laissé au hasard. «On passe sans cesse d’une tâche à l’autre dans une même journée, relève Adrien. Il faut être capable de s’adapter à chaque situation, en adoptant le bon comportement, et surtout ne jamais oublier qu’on a devant nous des êtres humains.»

«C’est un métier
très humain»


Ludovick Sonney, 29 ans,
d’Oron (VD), collaborateur
funéraire depuis quatre mois

«J’étais machiniste ferroviaire, mais pour des raisons de santé j’ai dû me réorienter. J’avais cette envie de travailler pour la cause commune, de faire quelque chose pour les autres. C’est un changement drastique, mais j’y ai trouvé une passion. On est fait pour ça ou on ne l’est pas. On va vers l’inconnu quand on rencontre une famille, car chacun gère le deuil différemment, c’est un métier très humain. Il faut savoir prendre sur soi, mais pas trop. Je vois toujours les défunts comme des personnes et pas seulement comme des corps.»

«Si cela ne nous touche plus,
il faut arrêter»


Adrien Blaser, 36 ans,
de Lausanne, collaborateur
funéraire depuis un an

«C’est le seul métier pour lequel j’ai réellement accroché. J’ai perdu ma maman, à 22 ans, je constate qu’on est souvent passé par une perte avant de rejoindre ce travail. J’ai désormais une perception sans tabou de la mort, mais cela me touche toujours beaucoup de préparer une personne. Si cela ne nous touche plus, il faut arrêter. Certains veulent qu’on soit souriant, alors que, dans d’autres cas, surtout pas, ce serait déplacé. Ces choses-là, il est primordial de les sentir au premier contact avec la famille, et cela ne s’apprend pas.»