TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: SEDRIK NEMETH

 

Chirurgienne spécialisée en proctologie, la doctoresse Murielle Mormont souligne l’intérêt et la complexité de son travail, bien loin de l’image parfois négative qui l’entoure.

Elle regrette le tabou qui régit encore le domaine, certains patients attendant plusieurs mois ou plusieurs années avant d’oser parler de leurs problèmes.

Pour mettre à l’aise les gens qui franchissent la porte de son cabinet à la Clinique de Valère à Sion, la spécialiste manie l’humour et l’empathie.

Depuis son plus jeune âge, Murielle Mormont a toujours voulu devenir médecin. Son intérêt pour la proctologie est, lui, venu plus tard. La chirurgienne a fait ses études en Belgique avant de terminer sa spécialité en Suisse, à Genève, et s’installer à Sion, à la clinique de Valère depuis un an. C’est là qu’elle nous a reçu pour parler hémorroïdes, empathie et sonde anale. Le tout, sans tabou.

Qu’est-ce qui vous a motivée à devenir proctologue ?
La même chose qui m’intéresse encore aujourd’hui, c’est une région du corps extrêmement intéressante qui possède beaucoup de fonction: la défécation, retenir les selles et pour certains, la sexualité. Certains patients me posent la même question: «vous êtes jeune, vous êtes une femme, pourquoi est-ce que vous faites ce travail?» Mais parce que je l’apprécie! Le domaine est très complexe alors que c’est une zone que l’on banalise voire que l’on a tendance à mettre de côté. Je m’étais spécialisée dans le pelvis et le périnée, et je voulais compléter par l’étude du côté postérieur afin de pouvoir offrir une prise en charge complète.

Pour quels types de problèmes est-ce que les gens vous consultent ?
Le plus souvent, ce sont pour des hémorroïdes, des fissures anales, ou des symptômes de douleurs ou de saignements. Cela peut cacher des problèmes plus complexes comme des maladies inflammatoires de l’intestin. Souvent, les gens ne consultent pas, certains pendant des années. Parce que cela ne les dérange qu’à moitié, mais aussi par peur d’en parler et des éventuels traitements.

Comment expliquer un tel tabou ?
À la base, c’est une région perçue comme «sale». Elle a aussi été mal considérée dans l’évolution des sexualités. Cela touche à l’intégrité de la personne. Quand les gens ont un problème à ce niveau, cela leur gâche énormément la vie. Ils gardent beaucoup pour eux, parce que ce n’est pas facile à aborder et qu’ils ne savent pas forcément vers qui se tourner.

«Au moment de passer à l’examen clinique, les hommes marquent un temps d’arrêt.»

Murielle Mormont, proctologue à Sion

Pourquoi est-ce que c’est important de consulter rapidement ?
Par exemple, les fissures anales cicatrisent difficilement. Une fissure récente, on peut assez vite régler le problème. Mais, si la fissure s’élargit avec le temps et devient chronique, on a le risque de devoir aller vers un traitement plus invasif, comme de la chirurgie par exemple. Cela s’applique à d’autres diagnostics.

Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui hésitent ?
Quand il y a des symptômes pour lesquels vous vous posez des questions, il ne faut pas hésiter à consulter au même titre que si vous avez un problème ailleurs. Il faut être capable de dépasser ce tabou et vous dire que le praticien en face de vous voit ces situations très souvent. Il va se focaliser sur votre problème, pas sur votre anus. Régulièrement, des patients qui sont restés de longs mois avec une douleur, une fois que c’est réglé, regrettent de ne pas en avoir parlé plus tôt.

Justement, comment vos patients se comportent-ils quand ils viennent chez vous ?
Ils sont souvent extrêmement gênés d’en parler dans les détails. Le but, pour moi, c’est de les mettre à l’aise, de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas les seuls dans leur cas et que j’entend ce genre d’histoire toute la journée. Il faut aussi être capable de faire preuve de beaucoup d’empathie et de dédramatiser. Moi aussi, comme tout le monde, je vais aux toilettes. Souvent, leur appréhension se manifeste en deux temps. Tout d’abord, quand ils franchissent la porte et puis, au moment de passer à l’examen clinique. Les femmes sont habituées, elles s’installent d’elles-mêmes sur le fauteuil d’examen. Chez l’homme, le tabou est plus fort, ils marquent un temps d’arrêt. Là, l’humour, l’empathie et le respect ont toute leur importance.

Comment a réagi votre entourage quand vous leur avez annoncé votre volonté de devenir proctologue ?
Avec mes amis, c’était marrant, ça les a surpris. Certains n’osent plus du tout poser de questions, alors que d’autres sont hyperavides d’informations. Ils veulent qu’on leur raconte les situations cocasses que l’on a connues.

Durant vos études, la proctologie était-elle aussi valorisée que les autres
spécialisations ?
Non, clairement pas. Les places étaient assez chères, et il fallait vraiment montrer votre motivation et vous impliquer afin de pouvoir y accéder. D’autres branches sont considérées comme bien plus prestigieuses. Même dans le monde médical, cela reste une sphère qui est encore trop souvent délaissée.

Est-ce que vous avez quand même l’impression que les mentalités évoluent ?
Oui, je dirais qu’il y a une ouverture d’esprit. De manière générale, la société fait preuve de plus de tolérance dans un certain nombre de domaines actuellement. Il reste encore une part de tabou, mais plus on en parlera plus on dédramatisera cette zone.

FIN