TEXTES ET PHOTOS:
SAMANTHA LUNDER

 

Dans son atelier de La Sarraz (VD), Olivier Grieb fabrique des arcs en bois traditionnels.

Le Lausannois pratique ce qu’on appelle la billebaude: le fait de se promener dans la forêt sans but précis, pour tirer sur des cibles naturelles.

Pas question pour lui d’utiliser l’archerie pour tuer des animaux, mais plutôt pour se retrouver en communion avec la nature.

Un arc entre les mains et des flèches dans un carquois en bandoulière, Olivier s’avance dans la forêt. Il se fraie un chemin à travers les arbres, hors des sentiers battus. Silencieux, il aperçoit quelque chose au loin. Il se positionne, les deux pieds bien ancrés dans le sol, saisit une flèche et la place au centre de son arc en bois. Il tend l’oreille et, la tête baissée, expire. Après un instant en apnée, il décoche. La corde libérée produit un léger claquement et le tronc sur lequel il a visé résonne. «Toutes ces lumières que l’on voit qui transpercent les feuilles, c’est justement ce que je vais chercher quand je me balade.» Car Olivier Grieb, facteur d’arcs à La Sarraz (VD), ne part pas en forêt pour chasser les animaux: il pratique la billebaude. Cela consiste à se promener dans la nature en étant à l’affût d’un talus, d’une souche abîmée, d’une branche sur laquelle tirer. Simplement pour le plaisir de se retrouver en extérieur. «J’ai toujours été attiré par la nature et je trouve que l’archerie nous apprend beaucoup sur nous-mêmes, on écoute ce qui se passe au fond de nous.» Il parle d’une introspection, d’un état de calme dans lequel il se plonge une fois l’arc dans sa paume. «C’est un compagnon des bois qui va permettre à quelqu’un de se dépasser, d’évoluer à ses côtés, décrit-il en regardant avec bienveillance l’objet qu’il a créé. On a un rapport particulier avec un arc, c’est un peu le prolongement de soi, comme un instrument de musique.»
À quelques mètres de ce coin de forêt, il a son local dans une ancienne usine de filature. Des morceaux de bois encore à découper, d’autres déjà taillés en fines lamelles et des outils sont entreposés, un peu partout, dans ce petit atelier. Sur une mezzanine, il y a son magasin, où on trouve des dizaines d’objets utiles à l’archerie. Le Lausannois fabrique ici ses arcs, depuis six ans, pour lui ou pour des clients. «J’ai découvert cet univers, il y a quinze ans, grâce à Jean-Marie Coche, un archer français chez qui j’ai suivi un stage. J’ai tout de suite été passionné», raconte-t-il. Le Vaudois se souvient aussi de quand il était enfant, de balades en forêt où il a fait ses premières expériences dans l’archerie. «Comme tous les gamins, je me suis fabriqué des arcs taillés dans des branches avec une ficelle, mais le résultat était un peu pitoyable», rigole-t-il.

«Je trouve que l’archerie
nous apprend beaucoup
sur nous-mêmes.»

Olivier Grieb, facteur d’arcs

 

«Les gens sont surpris quand ils nous croisent»

Ancien mécanicien-électricien, Olivier Grieb consacre, aujourd’hui, une bonne partie de son quotidien à cette fabrication artisanale. Il crée des arcs traditionnels et sur mesure. «À la différence des autres arcs, ceux-ci n’ont pas de viseur, ils pourront servir au loisir ou au sport.» Il précise que ses clients ne sont en aucun cas des chasseurs: la pratique est interdite en Suisse. «Quand on nous croise en forêt, les gens sont surpris. Leur premier réflexe, c’est de nous dire: « Non, ne me faites pas de mal », en levant les bras, continue l’artisan. On les rassure, en leur expliquant notre démarche.»
Ses flèches sont aussi loin de ressembler à celles bien pointues que l’on verrait au cinéma: elles ont un embout particulier en caoutchouc. «Elles sont spécialement conçues pour ne pas blesser, mais nous faisons tout de même très attention et ne tirons jamais sur un chemin balisé par exemple», précise-t-il, en déposant deux de ses flèches sur une table. À côté, il place deux longs morceaux de bois: «C’est un moule qui me permet de créer des arcs en mettant des lames de bois à l’intérieur pour les assembler.» En moyenne, il lui faut une cinquantaine d’heures pour créer un de ces précieux objets. Ils sont trois autres facteurs d’arcs en Suisse romande à faire comme lui. Olivier explique que les demandes ne sont pas toujours régulières, mais que cet univers intrigue. Les cours de tir instinctif qu’il donne sont très prisés. «On retrouve cet idéal héroïque de l’arc dans plusieurs films ou séries, les gens s’y intéressent souvent par ce biais.» Il précise, avec un sourire en coin, que ces contenus cinématographiques ne sont pas toujours crédibles: «Malheureusement, la plupart du temps les gestes sont faux. J’adore « Le Seigneur des Anneaux », mais un elfe qui tire cent flèches à la minute? Ce n’est pas vrai.»
Sans s’attarder sur ces films, l’archer de La Sarraz préfère continuer à nourrir sa passion directement en forêt. «Je ne pratiquerais jamais sur un jeu vidéo ou en salle, j’ai besoin de ce lien avec l’extérieur. Quand je fabrique un arc, c’est comme si je donnais une seconde vie à un arbre, raconte-t-il. On crée quelque chose de dynamique avec un morceau de bois à l’origine statique, c’est très beau.» Il soulève, tout de même, une certaine ambiguïté dans cette passion: «On pourrait y voir une part d’ombre, car, en effet, les arcs étaient une arme de destruction à l’époque. Maintenant, c’est à nous de décider ce qu’on en fait. En Europe, on a en tête cette image de la cible à atteindre, alors que, dans les pays orientaux, la flèche est une représentation de soi. C’est une signification très symbolique, et c’est celle vers laquelle je tends.»

 

FIN