TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: CHRISTIAN BONZON

 

Dialogueurs pour l’entreprise de récolte de fonds Corris depuis cinq mois, Clara et Clément doivent convaincre quatre ou cinq personnes par jour de faire un don.

Un objectif qui n’est pas toujours facile à atteindre, même si, avec le temps, ils ont appris à cibler les passants et à jouer de leur personnalité.

Les deux étudiants voient Corris comme un travail temporaire leur permettant d’acquérir des compétences et de mettre de l’argent de côté pour leur avenir.

«Vous êtes prêts à nous voir prendre de nombreux vents?» À peine sommes-nous arrivés sur le stand de Clara et Clément, devant la poste de Carouge (GE), que le ton est donné. Il faut dire qu’après cinq mois en tant que dialogueurs au sein de l’entreprise de récolte de fonds Corris, les deux étudiants savent à quoi s’attendre. Et ça n’a pas loupé, en ce début d’après-midi. «Bonjour Monsieur», sourit Clément. «Je suis pressé, désolé.» «Est-ce que tu t’intéresses aux oiseaux?» tente Clara auprès d’un jeune homme. «Je suis vraiment à la bourre, j’ai rendez-vous», répond celui-ci en faisant mine de regarder sa montre. Les refus s’enchaînent, mais les deux dialogueurs gardent le sourire. «Les gens manquent un peu d’originalité dans leurs excuses», ironise Clément.
Quelques minutes plus tard, leurs efforts finissent par payer. Une femme avec une poussette accepte de les écouter. À l’aide d’une tablette, Clara lui décrit le projet de la Station Ornithologique Suisse qu’ils défendent actuellement. Pour appuyer son propos, elle pointe le poster du vanneau huppé sur le stand. Oiseau de l’année 2019, celui-ci est menacé d’extinction en Suisse. Mais cela ne suffira pas, la mère de famille repart sans avoir fait de don. «Sur quinze personnes que l’on interpelle, il y en a environ trois qui s’arrêtent et une qui va réellement donner», évalue Clément. Il ne faut donc pas avoir peur d’entendre des dizaines de refus chaque jour. «Cela ne me fait plus rien. Déranger les gens est devenu un jeu, il faut se montrer créatif pour les faire rire, réussir à les titiller pour qu’ils répondent», décrit-il.

«Les gens manquent
un peu d’originalité
dans leurs excuses.»

Clément, dialogueur pour Corris

«Je sautais sur tout le monde»

Et si les deux étudiants font preuve d’autant de détermination, c’est qu’ils ont un objectif fixé par Corris: trouver quatre ou cinq donateurs par jour. Un chiffre que Clément a eu de la peine à atteindre à ses débuts. «J’avais tellement envie de bien faire, de ne pas perdre le boulot que je sautais sur tout le monde», se souvient-il. Avec le temps, il a appris à cibler les personnes auxquelles il s’adresse. «Chacun son style. Il y a des gens que je ne vais pas réussir à arrêter mais qui auraient peut-être écouté Clara, et vice versa.» Ce jour-là, à Carouge, le bilan n’est, pour le moment, pas fameux pour les deux dialogueurs. Alors qu’il est déjà 14h30, ils n’ont chacun convaincu qu’un seul donateur. «Mais, parfois, en deux heures, on en trouve trois ou quatre. Et puis cela s’équilibre d’un jour à l’autre, tente de se rassurer Clément. De toute façon, si tu penses trop aux signatures, tu ne vas pas y arriver.» Profitant d’une pause entre deux refus pour fumer une cigarette, Clara abonde: «En fin de journée, si tu n’as eu que un ou deux dons, tu vas être un peu stressée. Même si tu fais tout pareil que d’habitude, les gens vont ressentir la différence.»
Et cette grande timide a dû faire un véritable travail sur elle-même pour être capable d’aborder des inconnus dans la rue. «On a une journée de formation de base au début. Ensuite, on apprend sur le tas, avec les autres dialogueurs.» Des leçons qui ont visiblement porté leurs fruits: quelques minutes plus tard, Clara intercepte un jeune homme à la sortie de la poste. La conversation s’anime rapidement et les deux interlocuteurs ne tardent pas à devenir très complices, éclatant de rire à plusieurs reprises. Bientôt, l’imprimante cachée sous le stand se met en marche et crache le formulaire d’inscription. «La plupart des gens signent davantage pour la personne qu’ils ont en face que pour l’association», observe Clément, toujours en quête de son deuxième donateur du jour.

Léo, qui vient donc de verser 80 francs à la Station Ornithologique Suisse, assure avoir été séduit par le projet. «L’histoire des oiseaux m’a touché. Je ne donne pas souvent, mais je m’arrête régulièrement aux stands. J’essaie de me mettre à leur place. Cela doit juste faire plaisir d’avoir quelqu’un qui écoute de temps en temps.» À ses yeux, le démarchage de rue n’est pas du tout un problème. «C’est bien qu’ils viennent vers nous parce qu’en réalité on est trop flemmards. On ne va jamais aller sur Internet pour savoir à qui est-ce qu’on pourrait donner.»
Une fois Léo parti, les deux dialogueurs font le bilan. Il est déjà 15h et ils n’ont que trois donateurs à eux deux. Justement, Brice, leur coach, arrive en renfort. «Quand la journée est mauvaise, mon boulot, c’est de leur apporter mon expérience pour voir comment est-ce qu’on peut s’adapter et faire en sorte d’atteindre les objectifs», détaille-t-il. Le jeune homme a travaillé un an et demi sur un stand avant de prendre du galon, il sait que ce métier ne convient pas à tout le monde. «Depuis le début de l’année, deux des six dialogueurs de mon équipe ont déjà laissé tomber. La violence de certaines personnes peut être difficile à vivre. Parfois, cela va jusqu’aux insultes.» Avec le temps, il a appris à se blinder et préfère mettre en avant les aspects positifs du travail. «Être capable de convaincre des inconnus dans la rue, c’est une très bonne école de la communication. Je suis sûr que cela leur apportera beaucoup pour leur avenir. Pour des entretiens d’embauche, par exemple.»

 

FIN