TEXTES: JASON HUTHER
PHOTOS: DAVIDE BURANI

 

Après de nombreuses péripéties, Jonathan et Lionel ont reconverti une cabane de pêche du port de Neuchâtel en bar à bières artisanales

Avec de la place pour deux personnes, en plus du serveur, il semble bien que ce soit le plus petit bar du monde. En tous cas, les deux amis réclament le titre.

Malgré sa taille modeste, ce microbar est, en quelques sorte, le navire amiral d’un projet plus vaste de sauvetage de ces cahutes originales.

Il est là, posé entre deux autres cabanes aux couleurs chatoyantes. L’autoproclamé «plus petit bar à bière du monde», avec sa couleur métallique, détonne dans le voisinage lambrissé et coloré des autres cahutes de pêche du port de Neuchâtel. «On va encore recouvrir la porte de bois et la peindre. Ce n’est pas tout à fait fini», annonce Lionel Ferchaud, 45 ans, l’un des deux passionnés à l’origine de ce troquet original. Il s’emploie, non sans difficultés, à ouvrir la porte qui se déploie, à la verticale, dans un grincement.
A l’intérieur, on découvre un véritable fourbi organisé. Visiblement, celui qui a rangé a un don pour Tetris. «On a 1m20 de largeur sur 2m10 de long», décrit Lionel, en sortant deux tabourets hauts, pour se frayer un chemin jusqu’à la tireuse. En céramique, elle forme, avec le bar, un ensemble à l’ancienne, un contraste réussi avec le reste du bar résolument moderne. «Elle, on l’a trouvée dans une brocante. Le bar, en fait, c’est un coin de commode de 1870 que l’on a coupé et recouvert de zinc.» Créant l’illusion, il semble sortir du mur. Derrière le comptoir, un petit robinet vient compléter l’ensemble et, en dessous, il y a de la place pour quelques fûts. Pas plus. En tout, deux personnes peuvent se tenir assises. Cela fait deux de moins que dans le plus petit bar du monde, sis à Milan, et officiellement enregistré au «Guinness Book».

«Bravo pour la résistance»

«Il fait chaud ici! J’espère que ça ira pour la bière», s’inquiète Lionel qui est, par ailleurs, le brasseur de l’équipe. D’une main experte, il fait couler sa «Vouivre» – qu’il confectionne à Cortaillod (NE) – dans les verres. «Elle est fraîche», se rassure-t-il. Et heureusement, car la bière est la seule boisson qui est servie ici. «Je cherchais un endroit pour faire découvrir ma production», explique-t-il, alors que son comparse, Jonathan Perret, 34 ans, débarque sur sa trottinette électrique barbe aux vents et ses inséparables lunettes de soleil vissées sur le visage. «C’était la cabane de mon père», raconte l’arrivant. Son paternel, dont le portrait en sepia trône au-dessus du bar, tenait une école de voile dans le port. «Chaque place d’amarrage, à l’origine, en possède une», explique Jonathan, qui tient Le Bassin Bleu, un bar de l’autre côté du port, en savourant une gorgée de bière fraîche.

Leur projet, ils le mûrissent depuis 2017. «Bravo pour la résistance!», s’exclame une passante, les bras en l’air. Résistance? L’aventure s’est, en effet, heurtée à plusieurs écueils. «La ville, ne voulaient pas que ce port deviennent n’importe quoi», rembobine Jonathan. Les compères ont donc affiné leur projet et décidé de fonder une association pour promouvoir les lieux et convaincre les autorités. «Il y a de nombreuses cabanes abandonnées ou pas entretenues», racontent nos deux barmen. «Notre idée, ce n’est pas de se les arroger, mais de regrouper les intéressés pour les préserver et proposer quelque chose sur les quais». Contrairement à celles d’autres ports de la région, les baraques neuchâteloises sont dépareillées. Certaines sont plus hautes que leurs voisines, d’autres plus larges et leur propriétaires les plus actifs rivalisent d’imagination pour les décorer. L’association vise à les protéger, mais aussi à promouvoir le terroir local.

Une vitrine pour le terroir

En effet, le port, à la belle saison, est très fréquenté par les touristes. «Surtout les Suisses allemands», s’amuse Lionel. «C’est une super vitrine pour les artisans neuchâtelois. Là-bas, il y aura un bar à absinthe». L’organisation s’agrandit. «Petit à petit les gens s’intéressent au projet. On est six ou sept dans l’association», annonce Jonathan, son président. «On a même eu contact avec un coiffeur qui voulait raser sur les quais», s’amuse Lionel, en tirant des bières pour désaltérer le petit attroupement de curieux assoiffés qui s’est formé. Pas de doute, il intrigue déjà ce microbar, alors que son vernissage officiel n’est prévu que le 20 juin. «Si la météo le permet», précise Jonathan. Et puis, à terme, il ouvrira d’environ 17h à 22h. «On se laisse le temps de voir.»