TEXTES ET PHOTOS:
SAMANTHA LUNDER

 

Sous l’eau ou dans son laboratoire, Fabien Langenegger passe son temps à explorer les profondeurs des lacs et rivières de Neuchâtel.

L’archéologue subaquatique s’est aussi spécialisé dans la datation du bois. Il est le seul à travailler, pour le canton, dans ces deux domaines.

Parfois qualifié de chercheur d’or, il ne parle lui-même jamais de trésor: il cherche tout cela dans le but d’offrir une meilleure connaissance de ce patrimoine immergé.

En s’approchant de la rive de Bevaix (NE) en bateau, des pieux apparaissent au fond de l’eau. Rongés par les algues, ils sont pourtant encore bien ancrés dans le sol. Tout autour, des bouées jaunes flottent à la surface. «La zone est balisée car il faut les protéger», explique Fabien Langenegger en approchant l’embarcation au ralenti. Il se trouve sur l’un des cinq sites lacustres neuchâtelois inscrits au patrimoine de l’Unesco.

Immergé à quelques mètres dans le lac, un village de 10 000 m² se dessine, «c’est le témoignage d’une certaine période de vie, lorsque les populations commençaient à se sédentariser en s’installant au bord du lac pour la pêche.» Une trentaine de maisons, au total, datant de 1050 av. J.-C. et dont la principale trace, aujourd’hui, est laissée par ces pieux en bois. «Mais on les identifie aussi par la présence de centaines de pièces de céramique ou de bronze», complète Fabien. Des bijoux cachés dans les profondeurs que l’archéologue subaquatique cherche depuis 2004.

Inspiré par le commandant
Cousteau et la Calypso 

Il travaille pour l’Office du patrimoine et de l’archéologie du canton de Neuchâtel et s’affaire quotidiennement à sauvegarder les trésors du passé qui se trouvent dans les lacs et rivières qui l’entourent. «Les gens viennent toujours nous demander si on a trouvé de l’or, mais non! On va, avant tout, s’intéresser au contexte qui se cache derrière l’objet qu’on vient de découvrir.»

Celui qui habite Les Rasses (VD) s’est passionné pour ces profondeurs après une formation pour enseigner le sport, l’histoire et l’archéologie. «Je suis arrivé ici à l’époque des grands chantiers autoroutiers, on nous proposait de participer aux fouilles terrestres et cela m’a beaucoup plu», se souvient-il. Il s’inscrit alors pour passer son brevet de plongée dans l’optique de pouvoir, un jour, travailler sous l’eau. «J’avais en tête le célèbre commandant Cousteau et son navire Calypso, qui ont fait de nombreuses recherches dans les océans, cela me passionnait, et ces images me sont restées.» Depuis, il n’a plus quitté sa vie dans les eaux d’ici ou d’ailleurs. «Une fois, j’ai rejoint une équipe de plongeurs en France, au large de Sète, qui n’avait aucune idée du bateau qu’elle venait de trouver: j’ai pu leur donner la date et leur permettre de retrouver, dans leurs archives, quand il avait été construit, d’où il venait. Ce genre de découvertes est un vrai plaisir pour moi.»

 

«On découvre, à chaque
sortie, de nouvelles choses
qui sont libérées par l’érosion»

Fabien Langenegger, archéologue

Un dirigeable pour identifier
les zones à fouiller

Fouilles, documentation ou expertises, l’archéologue fait aussi ce qu’on appelle de la dendrochronologie. Cela consiste à déterminer l’âge exact d’un morceau de bois, trouvé sous l’eau ou ailleurs. «Je donne des dates tout le temps aux gens qui me le demandent, sourit Fabien. Beaucoup n’ont pas conscience de tout ce qu’on peut avoir sous nos eaux et de l’origine de tout cela.» Rien qu’un village lacustre comme celui de Bevaix peut recueillir des tonnes de céramiques, «et on a retrouvé 400 objets en bronze». Ils sont maintenant entreposés au Laténium, à Neuchâtel, le plus grand musée d’archéologie de Suisse, où ils ont pu être datés.

«On découvre, à chaque sortie, de nouvelles choses qui sont libérées par l’érosion et qui vont apparaître au fil du temps. Nous sommes donc encore bien loin d’avoir tout déniché dans le lac, malgré que l’on soit passés partout au moins une fois.» Mais comment s’y retrouver sur un plan d’eau si vaste? Pour identifier les lieux où chercher, Fabien effectue d’abord une prospection aérienne au-dessus du lac. «On part en dirigeable pour voir d’en haut s’il y a des endroits qui mériteraient une recherche subaquatique et on les prend en photo, explique l’archéologue. Une fois qu’on a vu quelque chose, il y a le risque que cela disparaisse rapidement avec les courants, on va donc retourner dans l’eau assez vite.»

 

Des trouvailles marquantes

Car certaines découvertes peuvent être flagrantes, alors que d’autres enfouies sont beaucoup plus difficiles à trouver. Fabien Langenegger se souvient particulièrement d’une pirogue de six mètres de long découverte au large de Marin (NE). «Elle datait de 2632 av. J.-C., nous avons dû la laisser car le coût pour l’extraire aurait été de 100 000 francs. Nous l’avons donc protégée en la recouvrant.» Mais aussi d’une forêt bien particulière, trouvée en 2017, au bout du lac au large de La Tène (NE). «C’était une forêt immergée qui avait 7000 ans, vous voyez les souches, le sol, c’est incroyable et surtout très rare.» Même si ces trouvailles ont souvent des milliers d’années, certaines restent bien cachées, «nous avons trouvé des épaves récemment, sous un amas de rochers. Je suis sûr que beaucoup de pêcheurs y sont passés sans jamais les apercevoir»

 

FIN