TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: JEAN-GUY PYTHON

 

Organisés à travers toute la Suisse romande, les Cafés des signes ont pour objectif de sensibiliser le public entendant aux difficultés rencontrées par les sourds pour communiquer au quotidien.

Pour ce faire, le service est, durant une soirée, effectué par des personnes malentendantes, aidées de tablettes et d’une interprète. C’était par exemple le cas, en mai, au café de l’Ancienne Gare de Fribourg.

Une fois passé le premier étonnement de ne pas pouvoir commander en parlant, la plupart des clients se prennent au jeu et découvrent, avec plaisir, un monde et une culture encore trop peu connus.

La première réaction des clients est souvent la même: le regard interdit, le sourcil froncé. Pourquoi diable est-ce que la serveuse gesticule devant eux sans valider leur commande? Alors il y a ceux qui répètent, ceux qui tentent de parler plus fort et ceux qui comprennent. Immédiatement, ces derniers cherchent à mimer la boisson de leur choix ou à la pointer sur la carte. «Le but, c’est que les entendants prennent conscience qu’ils peuvent communiquer avec nous sans interprète. Comme ils ont déjà vécu cette expérience ici, quand cela leur arrivera dans la rue, ils sauront qu’ils peuvent s’en sortir», souligne Diane Uehlinger, responsable des Cafés des signes à Fribourg et devenue sourde dans les mois qui ont suivi sa naissance.

Ce jour-là, c’est au café de l’Ancienne Gare qu’est organisé l’événement, de 16h30 à 22h. Diane et ses deux collègues Senad et Jaros vont de table en table, répétant, à chaque fois, la même approche. Ils commencent par expliquer, en langue des signes, qu’ils sont sourds, puis dégainent une tablette qui permet aux clients de visualiser des petites vidéos expliquant comment exprimer la boisson de leur choix. Et, quand la discussion devient trop laborieuse, les serveurs font appel à une interprète. «On fait le geste de chasser la mousse blanche», traduit cette dernière à deux clientes qui tentent d’imiter le mouvement pour obtenir une bière. Leur main gauche devant elles, le pouce vers le haut, elles passent leur main droite au-dessus, de manière perpendiculaire. «Le but, ce soir, c’est vraiment de casser les barrières, donc n’hésitez pas à m’appeler si vous voulez savoir quelque chose. Je ne voudrais pas que vous partiez avec des questions sans réponse», sourit Diane, avant de passer à la table suivante.

Handicap invisible

 

À l’autre bout de la salle, Ira et Lorraine voient arriver leur commande avec plaisir. «J’ai demandé un monaco, ce n’était pas le choix le plus facile à expliquer», rigole Lorraine. Pour autant, les deux jeunes femmes ont apprécié l’expérience. «C’est intéressant de voir que, pour une fois, c’est nous qui sommes en difficulté. Comme c’est un handicap qui n’est pas visible, en temps normal on ne s’en rend pas forcément compte», observent-elles. Un sentiment que Diane approuve totalement. «Dans le monde, il y a 70 millions de sourds, vous en croisez sans doute chaque semaine. Il est important, pour nous, de montrer nos besoins. Aujourd’hui, si je vais à l’hôpital, personne ne va me comprendre, comment est-ce que je fais?» À ses yeux, il est donc capital que les entendants apprennent les rudiments de la langue des signes dès l’école obligatoire.

 

«Les sourds sont plus tactiles.
C’est leur manière d’attirer
l’attention de quelqu’un»

Senad Sopnic,animateur du Café de signes

 

«En Suisse, il y a encore beaucoup de fausses idées et de méconnaissance sur les personnes sourdes. Par exemple, contrairement à ce que l’on croit souvent, si je lis sur vos lèvres, je ne comprends que 30% du message. J’ai besoin de la langue des signes pour avoir une communication complète», détaille la jeune femme. C’est pour cela que sensibiliser les entendants est capital selon elle. «Les bistrots sont l’endroit parfait pour une telle opération. Il est plus facile d’avoir un premier contact dans ce contexte», assure celle qui participe aux Cafés des signes depuis plus de six ans. Entre deux commandes, son collègue Senad va dans le même sens. «Ici, on peut toucher un public très varié, des gens de toutes les professions. C’est une manière de leur rappeler qu’on existe et de les inciter à s’intéresser à nous.» Car la démarche va bien au-delà de la simple langue des signes. «Les sourds ont leur propre culture. Ils sont plus tactiles parce que c’est leur manière d’attirer l’attention de quelqu’un. Ils sont aussi plus attentifs aux détails parce qu’ils ne sont pas concentrés sur les sons comme les entendants.»

D’ailleurs, les Cafés des signes sont aussi un point de rendez-vous pour la communauté non entendante. «J’aime bien venir, c’est l’occasion de faire des rencontres avec d’autres sourds. C’est vraiment chouette que les entendants acceptent de nous accueillir dans leur bar ainsi», s’enthousiasme Sharifa. Quelques tables plus loin, Charlotte, Martin, Eliott, Colette, Vasco et Kylian observent la jeune femme signer avec beaucoup d’intérêt. «C’est très important d’avoir ce genre d’événements, cela montre qu’il y a d’autres manières de s’exprimer, et cela permet de conscientiser que tout le monde n’a pas accès à la parole», assurent les étudiants, tout en tentant de reproduire les quelques signes qu’ils ont appris. Et, même si leurs gestes sont encore un peu hésitants, la volonté est là. «On doit encore un peu travailler, mais cela donne envie d’apprendre!»

 

FIN