TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: MURIELLE ANTILLE

 

À Neuchâtel, les Cartons du Coeur soutiennent environ 600 familles chaque année en distribuant des colis remplis de nourriture et de produits hygiéniques.

C’est dans les sous-sols d’un supermarché que les bénévoles comme Christian, Daniel et Gilbert préparent les caisses qui seront ensuite livrées en toute discrétion.

En principe, les bénéficiaires n’ont droit qu’à un seul coup de pouce par année, mais celui-ci est conséquent. Il doit leur permettre de vivre durant trois semaines.

À Cortaillod (NE), dans les sous-sols du supermarché Migros, se nichent d’autres rayonnages remplis de nourriture. Pour accéder à l’antre des Cartons du Coeur neuchâtelois, il faut franchir une grille métallique dissimulée dans le parking souterrain. Dans cet espace de 140 m2 aux murs en parpaing, les victuailles sont parfaitement alignées sur les étagères en bois. «On a une grosse récolte annuelle dans les magasins, le dernier samedi d’octobre. Ensuite, on complète en fonction des besoins», détaille Gilbert Gruring en poussant un chariot en bois qu’il remplit de marchandises à chaque arrêt. À 76 ans, le retraité connaît les lieux comme sa poche, voilà près de vingt ans qu’il est bénévole au sein des Cartons du Coeur. «J’avais envie de rendre service. Dans le monde où on vit, il y a toujours plus de monde à aider», explique-t-il. À côté de lui, ses collègues Christian Mamin et Daniel Collaud approuvent d’un hochement de tête. Les trois retraités sont en première ligne face à la précarité. «Malheureusement, c’est un phénomène de société. Si vous n’êtes pas dans le moule, vous êtes très vite laissé de côté», soupire Christian Mamin, président de l’association neuchâteloise depuis huit ans. Fondée en 1992 par le journaliste Laurent Borel, Cartons du Coeur vient en aide à ceux qui sont dans le besoin. «On est là pour donner un coup de pouce quand rien ne va. Cela peut être un divorce qui se passe mal, des jeunes qui ne trouvent pas de travail, des gens qui attendent le chômage ou l’AI. Ils n’ont plus de revenus et, à un moment donné, ils ont faim.» Pour tenter de remédier à cela, l’association compte uniquement sur la solidarité des Suisses. «On ne survit que grâce aux récoltes de dons. Les gens savent que ce qu’ils donnent va rester dans le canton», observe Christian Mamin. Le Neuchâtelois regrette, pourtant, que les autorités ne se montrent pas plus actives. «Elles investissent des centaines de millions dans l’armement, elles pourraient donner quelques pourcents pour ceux qui en ont besoin.»

«Une livraison par année,
mais une belle»

À Neuchâtel, ceux qui souhaitent recevoir le soutien des Cartons doivent d’abord composer le numéro de l’association. Au bout du fil, les téléphonistes cherchent à évaluer la situation du demandeur. «Elles posent un certain nombre de questions, le nom, l’adresse, de quoi ils auraient besoin», détaille Christian Mamin. Rien de trop personnel pour autant. «On ne demande pas le revenu des gens, cela ne nous regarde pas», assure-t-il. Alors comment être certain que la personne a véritablement besoin d’aide? «On s’est sans doute fait rouler, de temps en temps, mais cela reste rare. Ce n’est pas évident de téléphoner pour dire qu’on n’a plus rien à manger. Quelqu’un qui compose le numéro, c’est qu’il est vraiment dans la dèche», assure le Neuchâtelois.

 

«Ce n’est pas évident
de téléphoner pour dire
qu’on n’a plus rien à manger.»

Christian Mamin, président des Cartons du Coeur neuchâtelois

 

Avant de trancher, la téléphoniste regarde également s’il y a déjà eu une autre demande dans l’année. «Nous devons rester une aide ponctuelle. En principe, on ne fait qu’une seule livraison par année, mais une belle! Il y a pour environ 150 francs de marchandises.» Effectivement, sur la table en bois s’étale maintenant une montagne de produits: des pâtes, des cornichons, des barres de céréales, du thé, du papier toilettes, du maïs en conserve, du Nutella, du sel, des biscuits, du dentifrice, du thon en boîte, de la farine, de la soupe en sachet et du savon. Sans oublier la viande, les oeufs et les produits laitiers que les bénévoles ajouteront au dernier moment. «Le but, c’est de garantir que les gens aient à manger pour trois semaines. On met aussi des bons d’achat pour qu’ils puissent racheter des produits frais», souligne Christian Mamin, tandis que ses deux collègues s’empressent de glisser les provisions dans les caisses en plastique qui seront ensuite livrées aux bénéficiaires. C’est la mission de Daniel Collaud. Les mardis et les jeudis matin, il se relaie avec ses collègues pour distribuer les colis à bord du véhicule de l’association. Aussi discrètement que possible. «C’est sûr qu’on ne va pas sonner partout pour dire qu’on apporte les cartons. On fait attention à tenir notre langue, c’est normal», décrit le jeune retraité. Et ses visites sont toujours appréciées. «Les gens sont très reconnaissants, ils disent beaucoup merci. Certains nous offrent le café, ils ont envie de discuter un moment, de nous raconter leur misère.»

Une misère que, malgré tous leurs efforts, les Cartons ne peuvent qu’atténuer. «On ne peut pas changer la société, mais on peut amener un peu de réconfort», souffle Daniel Collaud. Un soutien que certains bénéficiaires rendent avec plaisir quelques années plus tard. «Quand on fait les récoltes, on a parfois des gens qui ont eu recours à nous par le passé qui nous apportent des chariots remplis à ras bord pour nous remercier. Ça, c’est la plus belle des récompenses», sourit Gilbert Gruring.

FIN