TEXTES: JASON HUTHER
PHOTOS: DAVIDE BURANI

 

Mordu de bricolage et de cuisine, Loïc Liechti, 28 ans, n’hésite pas à rengainer ses couteaux pour empoigner sa meuleuse et découper des tiges d’acier.

Il met les petits plats dans les grands. Son objectif est de construire un food truck qui soit pensé, réalisé et agencé comme une vraie cuisine itinérante.

Dès juin, en plus de gérer son restaurant, le Chaux-de-Fonnier compte bien être présent sur deux festivals chaque week-end.

Leurs pains au chocolat à peine terminés, Loïc Liechti et Robin Lopez poussent les portes du hangar. Elles s’ouvrent sans bruit sur une grosse remorque en tôle. Après l’avoir péniblement sortie, Robin, 29 ans, carrossier, s’engouffre dans l’atelier ainsi libéré et fait rugir sa meuleuse. Dehors, Loïc, 28 ans, cuisinier, grimpe dans le véhicule: «C’est le premier étage, le food truck en fera deux!» La remorque, une fois accolée à une camionnette retapée, formera une véritable cuisine mobile. Pour l’instant, rien, à part les deux bacs servant à cuire les pâtes fraîches – la spécialité de Loïc –, ne laisse présumer de cet objectif.

 

«Dans certaines manifestations,
quand le service d’hygiène passait,
on n’était parfois pas raccordés.»

Loïc Liechti, cuisinier

 

Une véritable cuisine dans un si petit espace? En termes pratiques, cela signifie trois éviers, dont un séparé et uniquement pour l’hygiène des mains; les autres sont prévus, par exemple, pour le nettoyage des denrées. Les bricoleurs, pour garantir l’accès direct à l’eau chaude, vont installer un boiler dans la remorque. «Dans certaines manifestations, quand le service d’hygiène passait, on n’était parfois pas encore raccordé…» commente Loïc. Les travaux doivent être terminés pour juin. Ce qui coïncide avec le début de la saison des festivals. Scapino – l’entreprise
de Loïc – sera alors présente sur deux événements chaque week-end: Paléo, Festi’neuch, Montreux Jazz, Chant du Gros, pour ne nommer qu’eux…

S’il possède plusieurs camions-restaurants, celui en construction constituera en quelque sorte son navire amiral: deux étages surmontés d’une enseigne. Il sera visible de loin. L’aspect tape-à-l’œil est important, mais l’hygiène et l’organisation pratique sont au cœur du projet. Au deuxième, soit à l’arrière de la camionnette, un espace de transformation des produits est prévu. «C’est là qu’il y aura la machine à pâtes. Une fois qu’elles seront prêtes à être cuites, un toboggan les fera descendre directement dans un bac de la remorque au premier étage.» Cette dernière est un trésor aux yeux de Loïc, qui passe une grande partie de son temps libre à chasser les bonnes occasions sur Internet. «Ça semble tout bête, mais c’est une remorque plate qui servait au transport de voitures. C’est un espace vide dans lequel on pouvait tout imaginer, raconte-t-il. Et surtout on peut la rabaisser au maximum.» Il s’empresse d’en faire la démonstration: en tournant une manivelle, il fait descendre le véhicule d’une quinzaine de centimètres. «C’est hyper important d’être au niveau du client!»

Tout tourne autour de la meule

Imaginer ce camion-restaurant a été un vrai travail d’équipe. «On a tracé 4 m2 par terre et on a regardé comment agencer l’espace en fonction des expériences de chacun.» Ce «on», c’est les copains, une vingtaine, qui viennent bosser en haute saison. Robin, carrossier à l’origine et bricoleur touche-à-tout, en est l’exemple: «Je fais tout sauf la cuisine!»
Alors que les compères s’affairent maintenant sur un plan de travail de la remorque, Loïc reprend en riant: «On a d’abord pensé: où va-t-on mettre la meule?» L’une de spécialités de Scapino est, en effet, de saucer les pâtes en les passant, avec de la crème notamment, dans une meule creusée. Puis le cuistot la racle pour déposer des morceaux de fromage sur les pâtes. «On a vite compris qu’elle serait déposée au bout du bar, face aux clients.» Et pas sur n’importe quelle surface: tout sera en inox, facile à désinfecter. Le reste de l’espace, outre les bacs à pâtes, sera équipé de tiroirs pour le matériel, d’un autre emplacement pour les sauces, et d’un escalier pour monter dans la camionnette.

Mais pourquoi se compliquer autant la vie? En effet, dans de nombreuses manifestations, les normes d’hygiène ne sont pas si sévères. «Quand on est considéré comme un stand, on a besoin d’un bidon d’eau chaude et c’est tout, commente Loïc. On n’a même pas besoin d’un sol.» Les règles sont un peu plus strictes pour un food truck, mais «ça reste quand même moins sévère que dans une cuisine.» Et il en sait quelque chose puisqu’il a ouvert, en novembre, un restaurant à La Chaux-de-Fonds. «Pour vingt couverts, il faut avoir des éviers séparés, respecter la chaîne du froid et toute une série de normes, relate le cuisinier. Dans un festival, certains servent des centaines de personnes parfois juste sur des panneaux de coffrage. Je pense qu’à terme les règles vont se renforcer.»
Ce qu’il s’impose, c’est une façon, pour lui, de prendre les devants, mais pas seulement. Penser son food truck comme une vraie cuisine de restaurant, c’est aussi gagner du temps. «À l’époque je faisais mon stand comme je cuisinais. Je montais et démontais tout chaque week-end», raconte Loïc. Dans la cuisine, on est sur du court terme. Si on se trompe un jour, par exemple, si c’est trop salé, on peut changer le lendemain. Cette immédiateté, on ne l’a pas quand on construit, on doit faire juste parce que c’est pour toute la saison… et la suivante.»

FIN