TEXTES: RODOLPHE HAENER
PHOTOS: CHRISTIAN BONZON

 

Rénover des bâtiments abandonnés pour en faire des ateliers d’art provisoires, c’est l’un des buts que poursuit, depuis 2015, la Coopérative genevoise Ressources Urbaines.

La structure gère, aujourd’hui, cinq bâtiments dans le canton de Genève, pour 4000 m2 de locaux.

L’ancienne Usine Parker, à Carouge, reconfigurée, sera prochainement inaugurée. Et tout le monde met la main à la pâte.

Carouge, zone industrielle de Grosselin. Une usine abandonnée sous la pluie. Partout on s’active pour poncer, couper, dresser des parois de bois, ranger et nettoyer. Un boucan d’enfer. La poussière est partout et s’accroche aux habits. C’est que l’inauguration est prévue pour la fin mai et qu’il faut d’ici là transformer cette ancienne usine de dynamos électriques en ateliers d’art. «J’ai pris possession des lieux aujourd’hui (ndlr: mercredi 8 mai), explique l’artiste genevois Bastien Gachet. Il faut encore tout installer, mais je vais m’y plaire! D’autant qu’il y a des quais de chargement, très pratiques quand on manie de grands matériaux comme je le fais.» Dans une autre pièce, Mathieu Bovigny prépare également son local, qui accueillera une antenne du magasin de disques et label Bongo Joe. Et tandis que s’abat la pluie et que le froid domine, lui s’inquiète déjà de trouver des solutions quand le soleil d’été viendra marteler les larges baies vitrées de l’usine. Plus loin, Virginie, artiste qui revient d’une résidence de six mois au Caire, s’active avec son papa Bruno pour organiser son local à elle, qu’elle partagera avec trois autres personnes.

«Nous ne sommes
pas des magiciens.»

Matthias Solenthaler,
membres fondateurs de Ressources Urbaines

 

Cette Usine Parker, puisque c’est son nom, c’est le dernier «coup» de la Coopérative genevoise Ressources Urbaines. Celle-ci se donne pour mission de dénicher des lieux momentanément inoccupés et de les rendre praticables pour les artistes, artisans et associations. à Carouge, ce sont 1000 m2 qui sont désormais à disposition. Et ils s’ajoutent aux 3000 m2 carrés que gère la coopérative dans quatre autres bâtiments disséminés dans le canton de Genève. Un boulot de gestion monstre.

Occupation légale

Une masse de travail qui explique, en partie, le retard à notre rendez-vous de Matthias Solenthaler et Stefan Press. Ces deux joyeux et débordés membres fondateurs de Ressources Urbaines s’empressent, à peine arrivés sur place, d’évaluer l’avancée des travaux et de jeter un œil aux finitions. Il faut dire que, pour tout retaper, plusieurs milliers de francs sont investis, grâce au soutien de la Fondation pour la promotion de lieux pour la culture émergente (FPLCE).
«Que des artistes découvrent un bâtiment abandonné et fassent des démarches pour l’occuper n’est pas nouveau. Ce qui change, avec Ressources Urbaines, c’est que nous recherchons des locaux pour les autres, en permanence, pour qu’il y en ait toujours. Nous sommes un agent neutre», détaille Matthias Solenthaler. C’est là très précisément que se situe l’originalité et la pertinence de Ressources Urbaines : chaque fois que la Coopérative découvre un bâtiment abandonné, elle entre en négociations avec son propriétaire, qu’il soit public ou privé, pour en obtenir l’usage à un loyer raisonnable. Et à force de voir les mêmes têtes toquer à la porte, les propriétaires nouent des liens de confiance avec la coopérative. Un cercle vertueux et un savoir-faire certain. Pour l’Usine Parker, l’usage du lieu durera donc trois ans, comme convenu contractuellement. Après quoi il faudra s’en aller pour laisser la zone industrielle se transformer en un quartier de 10 000 habitants.

Mais toutes les négociations n’aboutissent pas. «Nous avons pour but de proposer à nos membres des ateliers dont le mètre carré annuel ne doit pas excéder le montant de 140 francs pour les arts plastiques et 180 francs pour les arts appliqués. Quand nous ne pouvons pas garantir ce prix, nous passons notre chemin», explique Stefan Press.

 

Occuper c’est bien, construire c’est mieux

Si l’occupation provisoire de bâtiments vides satisfait, pour l’heure, Ressources Urbaines, la coopérative envisage sérieusement de devenir elle-même constructrice. Un projet existe, d’ailleurs, dans le quartier des Vergers, à Meyrin, où trois pavillons pourraient accueillir neuf ateliers. Construire également pour éviter un problème potentiel à venir: où reloger les artistes lorsqu’il faudra à Ressources Urbaines, comme convenu, restituer les bâtiments occupés? «Nous ne sommes pas des magiciens. Chacun des locataires sait que les baux sont limités dans le temps. Mais nous espérons trouver des solutions d’ici là», conclut Matthias Solenthaler, tandis que les ponceuses et autres scies électriques poursuivent leur ballet dans cette usine qui reprend vie heure après heure.

 

FIN