TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: SEDRIK NEMETH

 

Seule équipe romande d’assainissement entièrement féminine, les valaisannes Cindy et Charlotte ont dû se frayer une place dans ce métier très masculin.

Leur travail consiste à curer les conduites d’évacuation parfois bouchées par le calcaire ou des amas d’excréments et de serviettes hygiéniques.

Souvent dévalorisée et oubliée, cette profession est pourtant capitale au bon fonctionnement de nos villes. Un mauvais entretien peut conduire à de gros dégâts.

Avec un grondement sourd, le tuyau quitte la bouche d’égouts pour retourner s’enrouler sur l’imposant camion jaune. Soudain, l’eau jaillit du sol, éclaboussant tout sur son passage. Pas de quoi faire broncher Charlotte et Cindy. «Vous auriez dû venir ce matin à Corin (VS). Là, c’était vraiment dégueulasse, il y avait de gros boudins de caca et de serviettes hygiéniques qui bouchaient la canalisation», rigolent les deux jeunes femmes, spécialistes en assainissement chez Videsa à Sion. En comparaison, la conduite dont elles ont la charge en ce début d’après-midi à Martigny-Croix (VS) est particulièrement propre. Le tronçon vient d’être mis en service et la commune veut en vérifier l’état.
Une mission presque trop simple aux yeux de Cindy. «Je préfère quand il y a un peu plus d’aventure, on se sent plus utile.» Occupée à ranger le matériel, sa collègue acquiesce. Il faut dire que les deux femmes font figure d’exception dans un monde exclusivement masculin. «Une, c’est déjà impressionnant, mais deux, c’est du jamais vu. On fait sensation quand on descend du camion», souligne Charlotte qui a été la première à intégrer l’entreprise cinq ans plus tôt.

 

«Enceinte, j’ai bossé
jusqu’à trois jours avant
mon accouchement»

Charlotte Marty

 

Et le fait d’associer les deux trentenaires dans la même équipe d’assainissement s’est très vite imposé comme une nécessité. «Au début, j’ai beaucoup travaillé avec des hommes et ils voulaient tout faire à ma place. C’était gentil, mais cela m’énervait», se souvient la Valaisanne. Avec Cindy, elle se trouve, désormais, sur un pied d’égalité. De quoi lui faire apprécier encore davantage un métier qu’elle adore. «Je recommande à tout le monde d’essayer. Il ne faut pas être délicat, mais franchement ce n’est pas si dégoûtant.» La preuve? «Quand j’étais enceinte, j’ai bossé jusqu’à trois jours avant mon accouchement.»

Unique en Romandie

«On les traite comme n’importe quels employés, mais c’est une fierté pour nous d’avoir une équipe féminine. C’est quelque chose d’unique en Suisse romande», affirme Laurent Lièvre. Tandis que ses deux collaboratrices déplacent leur véhicule jusqu’à la bouche d’égout suivante, cinquante mètres plus loin, le responsable technique de l’entreprise détaille le b.a.-ba du curage de canalisation. «Depuis le point le plus bas, on fait remonter le tuyau jusqu’à l’autre extrémité de la conduite. Ensuite, pendant qu’on le fait revenir vers nous, des buses giclent de l’eau vers l’arrière afin de ramener les déchets.» Un entretien très important à l’entendre. «Si c’est mal fait, il y a un risque d’inondations et de dégâts. Au moindre orage, cela va ressortir de partout. Et ce n’est pas de l’eau…»
Celui qui travaille depuis trente ans dans le domaine dresse une liste aussi peu ragoûtante qu’elle est surprenante: «Des excréments, des rats, des serviettes hygiéniques, des préservatifs, des déchets alimentaires, des habits, des téléphones, des porte-monnaies. Le plus étonnant que j’aie vu, c’est une dent en or et une brouette.» De leur côté, Charlotte et Cindy assurent n’avoir encore rien croisé de particulièrement insolite. «Même après 10 ou 15 ans dans ce métier, je pense qu’on n’a pas fini d’être surpris. Certaines fois, on a des problèmes où il faut vraiment faire preuve d’imagination pour les résoudre», pointe Cindy.

D’ailleurs, depuis cinq ans, un CFC de technologue en assainissement a été créé en Suisse romande. De quoi ravir Laurent Lièvre. «Jusqu’à maintenant, on apprenait le travail sur le tas. Désormais, nous nous battons pour valoriser ce métier qui souffre encore d’une mauvaise image.» Selon lui, certains cantons comme Vaud et Neuchâtel peinent même à trouver des apprentis. «La profession a évolué et les outils actuels permettent d’avoir très peu de contacts directs avec tout ce qui est salissant. Et cela sent bien moins mauvais que ce que l’on imagine», affirme-t-il. Contrairement aux idées reçues, les spécialistes en assainissement ne descendent, du reste, que rarement dans les égouts. «On essaie d’éviter au maximum, car ce n’est pas très agréable et potentiellement dangereux. Surtout que, dans une ville comme Martigny, les conduites font au maximum 80 centimètres de diamètre. Donc, vous tenez au mieux à quatre pattes.» Charlotte abonde avec un sourire: «La plupart des gens n’ont aucune idée de ce qu’il se passe quand ils tirent la chasse.»

FIN