TEXTES ET PHOTOS:
SAMANTHA LUNDER

Depuis huit ans, Yann Giuliani travaille pour les CFF comme chef de l’assistance clientèle: il est contrôleur et forme aussi
la relève.

Ce guitariste et auteur-compositeur aime personnaliser les annonces qu’il fait dans les hauts-parleurs.

Teintées d’une description du paysage ou de jeux de mots, les entrées en gare entre Berne et Genève ne sont de loin pas comme celles que l’on a l’habitude d’entendre..

«Votre prochaine correspondance: le magnifique omnibus des filets de perche! Votre régio express pour Renens, Allaman, Rolle, Gland, Nyon, Coppet et Genève, sera sur la voie 9 à 15h21.» Dans le compartiment, les passagers tentent d’étouffer leurs rires. «C’est bien la première fois que j’entends un contrôleur s’exprimer comme ça dans le haut-parleur, sourit Priscilla en remettant ses écouteurs. Car, avec Yann Giuliani, pas question d’avoir des entrées en gare traditionnelles. «J’ai simplement décidé d’être naturel», souffle le Genevois de 44 ans avant de rejoindre l’étage supérieur en fredonnan

 

«J’ai simplement
décidé d’être naturel»

Yann Giuliani, contrôleur CFF

 

C’est que ce contrôleur et chef de l’assistance clientèle est aussi guitariste et auteur-compositeur: une passion pour laquelle ce papa d’un enfant de 10 ans avoue se lever parfois à quatre heures du matin. Histoire d’écrire des chansons avant sa journée de boulot. Et, une fois dans le train, la musique n’est jamais bien loin: «La semaine dernière, une passagère m’a demandé de chanter, j’ai repris Elvis au micro.» Plutôt inhabituel pour un contrôleur, pourtant les gens ont l’air d’apprécier le personnage. «C’était vous le monsieur de l’annonce en Lavaux? Restez comme vous êtes, vous avez mis du bonheur dans tout le wagon», vient le complimenter une dame sur le quai à Lausanne, visiblement enchantée. À la sortie du tunnel à Puidoux, Yann avait pris la parole pour inciter les passagers à regarder dehors. Le tout sur un ton digne d’une ouverture de spectacle. Et en trois langues. Car pour lui, mettre un peu d’ambiance, ça détend l’atmosphère: «Je suis strict avec les clients, mais on peut l’être tout en souriant. J’aime créer ce contact avec les passagers, pour qu’ils se sentent moins agressés et qu’ils voient qu’on est à leur écoute.»

«Si le train est en retard, on va éviter de blaguer»

Une attitude qui n’était pas forcément appréciée de sa hiérarchie à ses débuts: «Au sein de l’entreprise on me reprochait un peu ce comportement, jusqu’au jour où des clients ont écrit aux CFF pour dire que mes annonces leur feraient presque oublier les retards des trains.» Depuis, on l’encourage à continuer et il a même été choisi pour former la relève. «J’essaie de transmettre à mes élèves la nécessité d’être rassurants et souriants dans notre comportement, car les gens nous font confiance.» Il souligne l’importance de trouver le bon équilibre. «Certaines situations prêtent à blaguer un peu, mais quand le train a du retard par exemple, on va éviter…». Il repart dans la direction inverse en adressant un mot à chaque pendulaire: «Je pense que je dois dire au moins 1000 fois bonjour dans une journée comme celle-ci!» Une fois le compartiment traversé, il sort son smartphone: «On ne dirait pas, mais je compte les passagers. Cela donne des indications pour le taux de fréquentation que vous voyez ensuite sur vos propres téléphones en direct.» Il utilise aussi une application pour décider quel compartiment contrôler. «Je peux voir les passages qu’on a fait les cinq derniers jours dans ce train, et me rendre dans les voitures où nous sommes peu allés.»

«Je fais entre six et dix kilomètres à pied par jour»

Durant le trajet, Yann multiplie les allers-retours, grimpant et dévalant les escaliers d’un pas dynamique. Mais toujours en s’agrippant à la rampe de sécurité. «Je fais entre six et dix kilomètres à pied par jour.» Dans le train mais aussi sur le quai. À chaque arrêt, il sort et répète les mêmes gestes. Il marche le long de la voie – qu’il pleuve ou qu’il neige – pour surveiller les montées et descentes du train. «Attention les oreilles», prévient-il tout sourire avant de donner un coup de sifflet et de lever un carton jaune. «C’est notre manière de signaler au contrôleur, à l’autre bout du train, que tout le monde est bien à l’intérieur. S’il me le montre également, ça veut dire qu’on peut y aller», détaille-t-il tout en donnant un tour de clé à un boîtier accroché à une poutre. «Cela envoie un signal lumineux au mécanicien de locomotive, pour lui dire qu’il pourra se remettre en marche une fois les portes fermées», précise-t-il en sautant à bord.

 

««Je suis comme un chat,
je pars mais je reviens
toujours chez moi.» »

Yann Giuliani, contrôleur CFF

 

Alors que le voyage touche à son terme, toujours aucun resquilleur à l’horizon, «c’est plutôt rare d’avoir des gens sans billet sur ce trajet, il y en a davantage dans les trains régionaux.» Il est presque 16h, le train est sur le point d’arriver en gare de Genève. Même si Yann traverse la Suisse de bout en bout quotidiennement, il monte dans le train dans sa ville aux aurores et y retourne l’après-midi: «Je suis comme un chat, je pars mais je reviens toujours chez moi! C’est le côté pratique du métier.» Le contrôleur descend d’un étage pour aller faire sa dernière annonce de la journée. Sa voix, aussi enjouée qu’au début du trajet, retentit dans le haut-parleur: «Mesdames, mesdemoiselles et messieurs, le personnel qui vous a accompagné depuis Lucerne va prendre congé de vous. Un grand merci pour vos sourires. Et surtout: attention, il pleut, n’oubliez pas vos parapluies.»

FIN