TEXTES ET PHOTOS: SAMANTHA LUNDER

 

Nathalie Dubath et Ana Tordera sont docteurs rêves pour la Fondation Théodora: depuis respectivement vingt-quatre et quatorze ans, leur travail consiste à égayer le quotidien des enfants malades.

Elles enfilent leurs tenues de Méli Mélo et Virgule chaque semaine dans différents hôpitaux romands.

Du bébé prématuré à l’adolescent, elles redoublent d’imagination pour s’adapter à chaque situation.

«Toc, toc, on ose entrer?» Une petite voix s’élève derrière la porte: «Mais je sais qui vous êtes! Vous êtes les clowns!» Axel, 6 ans et demi, sort des toilettes. «Voilà mon pirate préféré!» s’exclame Méli Mélo en balançant ses bras de tous les côtés. L’enfant part dans un éclat de rire face à cette danse loufoque. Il est 10 h, dans les couloirs de l’Hôpital de Fribourg, Méli Mélo et Virgule commencent leur tournée hebdomadaire. Tout juste apprêtées, elles sont déjà au cœur de l’action. «On passe te voir un peu plus tard!» promettent-elles au jeune patient.

Nathalie Dubath et Ana Tordera de leurs vrais noms sont docteurs rêves à la Fondation Théodora. Plusieurs fois par semaine, elles parcourent institutions et hôpitaux romands pour rendre visite aux enfants malades. «Ici, on doit se déguiser en poussins», confient-elles en arrivant devant une première chambre. Elles enfilent une blouse jaune par-dessus leurs tenues colorées. Une précaution sanitaire, car elles vont pénétrer dans une zone d’isolement. Ana jette un coup d’œil par le hublot et toutes deux entrent en chanson. À l’intérieur, les jumeaux de 1 an sont captivés.

 

«Les bébés
nous racontent
tellement
d’histoires.»

Nathalie Dubath, ou Méli Mélo

 

Après une dizaine de minutes d’évasion, les deux artistes reviennent sur leurs pas. Il faut enchaîner: ce matin-là, il y a une bonne douzaine d’enfants qui attendent leur passage. Ana pousse une autre porte, pendant que Nathalie rejoint Léo, quatre ans et demi. «Tu peux faire des bananes pour lui?» questionne le petit garçon en lui tendant son singe en peluche. Telle Mary Poppins, elle sort un bloc de post-its multicolores de sa poche. Le visage de Léo s’illumine tandis qu’elle sélectionne les petits papiers jaunes. Ensemble, ils créent un véritable havre fait de cocotiers, de mer et de fruits exotiques. Pour David Schumacher, le papa, ce petit moment est apprécié: «Cela lui permet de voir autre chose que les médecins et les infirmiers. En plus, il ne parle pas beaucoup habituellement, là il s’est lâché!» Marionnettes, pinceaux pour dessiner dans les airs ou ballons à gonfler: les interventions des docteurs rêves se multiplient au fil de la matinée, mais aucune ne se ressemble.

«L’enfant doit être la star du moment»

«On regarde l’âge de l’enfant, les gens qui l’entourent et ce qu’il a comme objets devant lui pour lancer notre fil rouge, raconte Ana. L’enfant doit être la star du moment!» Avec toute cette énergie positive, on en oublierait presque qu’on se trouve en pédiatrie. «Quand tu commences le métier, l’ambiance « hôpital », c’est un poids qui est plus fort que toi. Mais, avec le temps, tu apprivoises ce milieu», continue Nathalie. Pour elle, apporter sa graine de folie dans l’univers médical produit son effet: «Avec notre jeu, on oblige ce monde hospitalier qui avance droit sur ses rails à s’arrêter deux petites secondes, à souffler un peu.» Comme Nathalie et Ana, ils sont 62 docteurs rêves en Suisse. Tous sont des artistes professionnels, formés pour pouvoir travailler dans les hôpitaux. Les deux femmes confient que certaines visites sont plus difficiles que d’autres, «on peut avoir plus ou moins d’appréhension selon la situation de l’enfant, mais, dans tous les cas, la maladie part assez vite au second plan lorsqu’on emmène le patient dans notre bulle», confie Ana. Jamais en panne d’idées, les deux artistes doivent aussi savoir jongler entre les différents services. Surtout en fonction de l’âge des enfants.

 

Apéritif musical

De retour dans les couloirs, elles entrent maintenant en néonatologie. Ici, fini les chansons à tue-tête. Nathalie s’avance dans une chambre plongée dans la pénombre. Sur la pointe des pieds, elle s’approche de l’infirmière en train de changer la minuscule Lisa, née prématurée il y a un mois. «On fait un petit apéritif musical avant le repas?» lui souffle la comédienne en se penchant sur elle. Quelques notes frôlées sur un piano à pouces et la magie opère. Le bruit des machines s’efface au gré de la douce mélodie. Le nouveau-né écarquille ses tout petits yeux. «Peu importe l’âge de l’enfant hospitalisé, il y a toujours quelque chose à échanger. Les bébés nous racontent tellement d’histoires», sourit-elle en quittant la pièce.
Comme promis, Nathalie et Ana retrouvent finalement Axel pour terminer leur matinée. Une voile fabriquée avec des ballons, un navire et des épées fictives, tous les trois s’évadent dans le monde des pirates. La grand-maman les observe, amusée: «Vous savez, la semaine dernière Méli Mélo lui a donné une carte au trésor. Il sait qu’elle est accrochée dans sa chambre pour son retour à la maison.» C’est aussi ça, un docteur rêves: il anesthésie les souvenirs d’un séjour passé entre quatre murs blancs.

 

FIN