TEXTES ET PHOTOS : SAMANTHA LUNDER

A 72 ANS, ROSMARIE ET JÜRG FAES EDUQUENT LEUR SIXIEME CHIEN DESTINE A ACCOMPAGNER UNE PERSONNE MALVOYANTE.

ILS NE GARDENT LES CHIOTS QU’UNE QUINZAINE DE MOIS. LA SEPARATION EST DIFFICILE, MAIS LE COUPLE ARRIVE TOUJOURS A LA SURMONTER, ET A RECOMMENCER.

A CHENE-BOURG (GE), DEVANT LEUR MAISON FAMILIALE, ILS ONT MEME INSTALLE UNE GRILLE POUR QUE LES LABRADORS PUISSENT APPRENDRE A Y FAIRE LEURS BESOINS.

Assis dans le hall d’entrée, Jürg tourne les pages d’un grand album photos. Sourire aux lèvres, il pointe du doigt une des images: «Lui, c’est «Yoda», le deuxième chien qu’on a eu. C’est impressionnant de voir tout ce qu’il arrive à faire avec la personne qu’il guide.» Sur l’image suivante, le chien est debout, appuyant avec ses pattes sur le bouton pour que le feu du passage piéton devienne vert. «Bon, ça ils ne l’apprennent pas grâce à nous!» rigole le septuagénaire avec un regard amusé à sa femme. Avant «Yoda», il y a eu «Twix». Et après, «Atos», «Blue», «Dax» et «Elvis». Depuis dix ans, Rosmarie et Jürg Faes accueillent des chiots destinés à devenir guides d’aveugles. Dans leur maison de Chêne-Bourg (GE), ils éduquent leurs compagnons à quatre pattes durant douze à dix-huit mois. Les labradors dont la santé et le comportement sont jugés adéquats, terminent, ensuite, leur formation avec un éducateur professionnel à la Fondation romande pour chiens guides d’aveugles. «Ils ont tous pu être placés chez des personnes malvoyantes, sauf le premier, «Twix», qui avait malheureusement une dégénérescence rétinienne, il a rejoint une famille d’accueil», explique Jürg, en donnant une caresse amicale à «Dax», couché à ses pieds. Juste à côté de lui, une seconde boule de poils couleur crème, «Elvis» mordille un jouet. En ce début d’année, la situation est particulière pour Rosmarie et Jürg: pour la toute première fois, ils n’ont pas un, mais deux labradors en même temps. «C’était un dépannage. Pendant un cours, le mois dernier, l’éducatrice ne cessait de téléphoner, elle m’a expliqué qu’un chiot devait rapidement être placé car sa famille ne pouvait pas le garder. J’ai tout de suite appelé ma femme et c’était fait: on l’a recueilli!» Médecin jusqu’à l’année dernière, le mari et père de deux enfants, désormais adultes, partage la passion de son épouse. «On ne l’a jamais vu comme un sacrifice», se confie-t-il en évoquant tout de même les trois premiers mois: «On est un peu cloués à la maison. Mais ensuite, quand ils sont grands, on rattrape le temps perdu en faisant de longues randonnées.» Au départ, c’est Rosmarie qui a lancé l’idée d’accueillir un chiot: «J’ai longtemps été maman de jour. Quand j’ai arrêté, je me suis retrouvée un peu seule. La fondation cherchait des familles d’accueil, j’ai voulu essayer.»

«On ne les a jamais laissés seuls plus d’une heure»

À chaque adoption, le couple doit repartir de zéro avec son nouveau compagnon d’à peine deux mois, mais cette tâche est loin de les effrayer. «Ma femme a toujours pris ce rôle très au sérieux, jusqu’à dormir les deux premiers mois dans la même pièce que le labrador pour créer un socle de confiance», souffle Jürg. Lui-même a décidé d’installer une grille sur un caniveau creusé devant son garage, exprès pour que ses chiots puissent apprendre à y faire leurs besoins. Un comportement que les labradors destinés à des personnes malvoyantes doivent absolument adopter: ainsi, une fois en milieu urbain avec son chien, la personne aveugle pourra lui dire de faire ses besoins n’importe quand. Sur la grille en question, «Dax», 16 mois, donne l’exemple. «Stac- ca», lui lance Jürg, en précisant que les ordres doivent être donnés en italien (lire encadré). Ni une ni deux, le chien s’exécute. «Une fois, on voulait prendre le train. Il a fait ses besoins sur la grille qui longeait le quai et on a vu les regards impressionnés des gens autour. J’avoue qu’on était assez fiers!»
Mais, avant d’arriver à un tel résultat, le couple doit consacrer de longues heures à faire répéter ses chiots. Il s’appuie sur un dossier recensant les ordres de base tels que: s’asseoir, se coucher, lâcher un objet ou re- venir vers son maître. Le labrador doit aussi être habitué à rester constamment avec un humain. «On ne l’a jamais laissé seul plus d’une heure ou deux», précise Jürg.

«Pour ne pas être triste, il faut recommencer»

S’il y a les premiers jours, il y a aussi les derniers. Au moment d’évoquer la séparation, Rosmarie pose un regard attendri sur ses deux compagnons. «Sans un investissement affectif avec le chien, on n’obtient pas le même résultat. Alors, forcément, c’est difficile de rompre le lien. Mais on sait pourquoi on le fait», affirme Jürg. Pour détendre l’atmosphère, il enchaîne: «Le meilleur moyen de ne pas être triste, c’est de recommencer.» Début juillet, «Dax» les quittera, «c’est une bonne pâte, je pense qu’il a tous les critères pour devenir guide!», poursuit Jürg, convaincu. Finalement, «Elvis», quatre mois, restera dans la famille. «On pensait faire une pause, mais on repart pour un tour!» Est-ce que cela sera le dernier? Rosmarie sourit. «À l’époque, j’avais dit que j’arrêterais après «Blue». Mais depuis je ne le dis plus.»