TEXTES : FABIEN FEISSLI
PHOTOS : JEAN-GUY PYTHON

ASSISTANTE DE SECURITE PUBLIQUE A LAUSANNE DEPUIS ONZE ANS, NATHALIE A APPRIS A SE BLINDER CONTRE LES INSULTES ET LES RECRIMINATIONS QUOTIDIENNES DES AUTOMOBILISTES.

CETTE MERE DE DEUX ENFANTS PASSIONNEE DE CHANTS LYRIQUE MET SURTOUT EN AVANT LES AVANTAGES DE SON TRAVAIL: L’AUTONOMIE ET LE CONTACT HUMAIN.

Il y a ceux qui râlent, ceux qui négocient, ceux qui quémandent. Et il y a les bons joueurs. «Certains acceptent leur amende avec le sourire. Ils disent même merci et bonne journée. On est presque gêné», raconte Nathalie, en sortant de l’Hôtel de police de Lausanne. Armée de son imprimante portative et d’une sacoche remplie de calepins, l’assistante de sécurité publique commence sa tournée par la place du Tunnel. Immédiatement, un véhicule attire son attention, une Renault grise parquée sans ticket. Nathalie relève le numéro de plaques puis s’éloigne sans déposer d’amende sur le pare-brise. L’automobiliste aurait-il droit à une faveur? «C’est le temps de la monnaie», sourit la quadragénaire.

Si la loi ne prévoit aucune marge de tolérance, la contractuelle souligne que son activité demande de savoir apprécier les situations. «Je laisse souvent quelques minutes, comme ça je suis à l’aise.» Tandis qu’elle relève les immatriculations des autres véhicules garés sur la place, plusieurs personnes foncent sur l’horodateur, une pièce à la main. Parmi eux, le conducteur de la Renault grise. Nathalie a bien conscience que sa seule présence crée une véritable inquiétude. «On touche au porte-monnaie… Au final, le but est quand même atteint, ils ont payé», philosophe cette passionnée de chant lyrique qui a étudié seize ans au Conservatoire.

 

«C’est l’uniforme qu’ils insultent»

Alors qu’elle finit de rédiger une amende de 40 francs, le chauffeur d’un camion lucernois l’interpelle. La communication s’engage à grand renfort de gestes et de traduction sur le téléphone portable. «J’aime le contact humain, être dehors, voir du monde», se réjouit la contractuelle. Il y a onze ans, à la recherche d’une reconversion, elle a quitté son poste dans un supermarché pour suivre une formation de trois mois et devenir assistante de sécurité publique. «C’est un emploi stable et, pour moi, quand il fait beau comme aujourd’hui, on fait le plus beau métier du monde.» Pourtant, en plus d’une décennie dans la rue, Nathalie en a entendu de toutes les couleurs: «Vos amendes serviront à payer votre cercueil», «mal-baisée», «je vous souhaite d’avoir le cancer.» Avec le temps, l’assistante de sécurité publique a appris à se blinder. «Quand j’ai commencé, je ne savais pas comment réagir, je rougissais, je tremblotais», se souvient-elle.

Désormais, la quadragénaire préfère relativiser. «Je peux comprendre que, certains jours, on est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Pour moi, c’est l’uniforme qu’ils insultent, pas la personne qui le porte.» Le raison- nement fonctionne, d’ailleurs, aussi dans l’autre sens. «Certains automobilistes se sentent attaqués, mais nous c’est avant tout un véhicule que l’on amende, cela n’a rien de personnel.» Il arrive, pourtant, que le compor- tement des conducteurs ait une influence. «Parfois, on se retrouve face à des personnes en infraction qui refusent toute discussion. Leur attitude nous incite à les amender.» Pour autant, Nathalie assure être ouverte au dialogue. «Une fois, devant le Chuv, j’ai eu un papa qui venait d’avoir des jumeaux. Je lui ai dit qu’avec les 40 francs il achèterait des pyjamas!»

 

«Les yeux de la ville»

Soudain, l’assistante de sécurité publique s’interrompt et se dirige vers une camionnette qui traverse une rue réservée aux piétons. «Vous feriez mieux de vous occuper des dealers», grogne le conducteur en recevant la douloureuse de 100 francs. Nathalie affirme n’avoir aucun remords. «Les gens ne comprendraient pas que je le laisse passer. On est là pour faire respecter la loi.» Elle est d’ailleurs persuadée que, s’il n’y avait pas de contractuels, les automobilistes se plaindraient. «Les places seraient squattées du matin au soir et on ne pour- rait plus se parquer en ville. En réalité, nous sommes là pour rendre service.» Si le stationnement représente l’immense majorité de son travail, l’assistante de sécurité publique précise qu’elle a aussi d’autres missions.

«Nous sommes également chargés de faire traverser les enfants ou de faire la circulation lors de manifestations ou d’accidents.» Et cela peut même aller plus loin. «Une fois, j’ai recueilli des informations qui ont permis l’interpellation d’un suspect. À force d’être tous les jours dans la rue, on connaît beaucoup de monde. Nous sommes un peu les yeux de la ville.»

Quand sa tournée matinale se termine, Nathalie a distribué une dizaine d’amendes variant entre 40 et 140 francs. «Les histoires de quotas, c’est totalement faux. En revanche, à titre personnel, j’ai besoin d’un certain rendement pour avoir l’impression d’avoir accompli mon travail», assume la contractuelle. En moyenne, elle distribue une trentaine d’amendes quotidiennement, un chiffre qui peut doubler certains jours. «Mais, si on rapporte autant d’argent, c’est parce que les gens ne respectent pas les règles. Au fond, c’est grâce à eux qu’on a du travail.»