TEXTES: FABIEN FEISSLI
PHOTOS: SEBASTIEN BOVY

Créée il y a deux ans, l’association à but non lucratif Swiss Artists Production souhaite venir en aide aux chanteurs romands pour leur permettre de vivre de leur passion.
Pour cela, la structure recherche des mécènes et des partenaires acceptant de soutenir ses poulains. Car, à cause des plateformes de streaming, la vente de chansons ne rapporte pratiquement plus rien.
Afin d’accompagner au mieux leurs artistes, Bob Arnedo et Michel Galone, les deux cofondateurs, se sont entourés de toutes les compétences, des spécialistes en réseaux sociaux à la coach sportive.

Niché dans la zone commerciale de Crissier (VD), le petit local de l’association Swiss Artists Production est bondé cet après-midi-là. Tandis que Antony Trice, Tricia Cordero et Vincent Castelain (lire encadrés), trois des quatre artistes du jeune label, s’éclipsent dans le studio d’enregistrement, les autres membres s’entassent dans les canapés du bureau pour raconter la naissance de leur aventure. «On est dans le domaine depuis plus de 20 ans, mais, il y a deux ans, on a voulu créer un label associatif à but non lucratif pour accompagner des chanteurs romands», commence Bob Arnedo, président de la structure. À ses côtés, Michel Galone, cofondateur et producteur, abonde: «On ne voulait pas faire quelque chose de commercial. La musique, pour nous, c’est ce qui compte le plus. C’est un label pour les artistes, par les artistes.» Une philosophie qui a d’ailleurs convaincu Giuseppe Papasidero, surnommé «Joe Paps», de rejoindre l’aventure. «Dans ce milieu, il y a beaucoup de requins. Donc une association, cela permet d’avancer dans le bon sens avec des gens qui sont passionnés et justes», souligne-t-il. Et lui qui a travaillé comme producteur aux États-Unis et en France l’assure, vivre de la musique est très compliqué en Suisse romande. «Ici, on ne nous prend pas au sérieux, ce n’est pas considéré comme un métier à part entière.»
Michel va dans le même sens: «En Suisse allemande il y a un gros soutien, mais ici c’est très compliqué. Mis à part quelqu’un comme Bastian Baker, neuf artistes sur dix doivent donner des cours à côté pour tourner. Mais, si tu veux réussir, tu ne peux pas te permettre d’avoir un petit boulot à côté.» Le but de leur label est donc de permettre à de jeunes artistes romands de devenir professionnels. Et, pour cela, rien n’est laissé au hasard. «On a réuni toutes les branches nécessaires au sein de l’association. On les aide bien sûr à peaufiner leurs compositions et à les enregistrer. Mais cela va plus loin, on s’occupe aussi de leur promo, de leurs concerts, de leurs réseaux sociaux et de leur style», reprend Bob. Assise à côté de lui, Cynthia Di Majo est justement chargée de relooker les chanteurs. «L’objectif, c’est de les sublimer, car une grande partie du succès d’un artiste, c’est son image. Il faut qu’ils arrivent à se créer un univers pour faire passer leur message avant même d’ouvrir la bouche», détaille la spécialiste.
Et si la vingtaine de membres que compte l’association acceptent de travailler de manière bénévole pour le moment, Michel espère voir cette situation changer rapidement. «À l’horizon 2021, il faudrait qu’on puisse rémunérer les artistes et les autres personnes. L’une de nos pistes, c’est de trouver des mécènes, comme des entreprises, qui veulent soutenir des artistes romands.» Car le problème rencontré par l’industrie musicale, c’est que la vente de chansons ne rapporte pratiquement plus rien. «Depuis deux ans, les sites de streaming, comme Spotify, ont dépassé tout le reste. C’est une catastrophe parce qu’un chanteur ne reçoit que 0,003 centime par écoute», assure-t-il. Malgré tout, ces plateformes peuvent participer à faire connaître les artistes du label. «On veut travailler sur leur notoriété pour les aider à trouver leur public, celui qui aura envie de venir les voir en concert. Finalement, c’est ça qui leur permettra d’en vivre.»

«En Suisse, chanter est vu comme un hobby.»

Pour Antony, la passion de la musique a commencé, il y a dix ans, par un fémur cassé. Privé de sport durant trois ans, le Vaudois de Baulmes se trouve une nouvelle passion: la guitare. Et plus précisément celle de sa sœur, décédée en 2008. «Je postais des vidéos sur les réseaux sociaux. Je pars du principe que plus tu te montres, plus tu as de chances d’être repéré.» Une intuition qui va se confirmer puisque c’est ainsi que Swiss Artists Production le contacte en 2018. «J’ai vraiment fait mes premiers pas en studio ici, j’ai appris à construire une chanson de A à Z», raconte-t-il. Et ses efforts vont payer puisqu’il est contacté par TF1 fin 2019. En janvier 2020, il fait un carton dans «The Voice», séduisant les quatre juges de l’émission. «J’avais commencé des études à la HEP pour avoir un plan B, mais mon but, aujourd’hui, c’est de pouvoir vivre de la chanson», explique le jeune homme. Il sait pourtant que le chemin sera compliqué. «En Suisse, c’est difficile, il n’y a pas vraiment de soutien parce que c’est vu comme un hobby, pas comme un métier.»

Antony Trice,
24 ans, Chanteur

«Cela demande beaucoup de travail.»

Patrizia a été la toute première recrue du label associatif. «Je chante depuis petite, mais avant c’était vraiment pour le plaisir, je faisais des reprises, je n’écrivais pas mes chansons», raconte la Vaudoise. Et si sa rencontre avec Bob et Michel lui a permis de sortir son premier single, la gymnasienne n’est pas, pour autant, convaincue de vouloir faire de la musique son métier. «Plus j’avance, plus je m’interroge. Cela demande beaucoup de travail, surtout en Suisse, où c’est plus compliqué de se faire connaître», assure-t-elle. La jeune femme garde, pourtant, une petite idée derrière la tête. «Je suis d’origine philippine et j’ai l’impression que ce serait plus simple là-bas, j’aurais plus de chances de réussir, je pense.»

«Tricia Cordero»
18 ans, Chanteuse